kepou15
vétéran
ARTICLE
L'hormone de croissance est l'un des produits dopants les plus largement utilisés aujourd'hui, principalement du fait de ses propriétés anabolisantes et lipolytiques, mais aussi du fait d'une réputation erronée d'innocuité ainsi que de l'impossibilité de prouver sa consommation de manière formelle avec les techniques immunologiques actuelles. En effet, si ces techniques ont démontré leur efficacité dans le cadre du diagnostic des déficits en hormone de croissance, elles ne sont pas applicables dans le cadre de la lutte antidopage. Les raisons sont naturellement d'ordre analytique (seuils de sensibilité, effet de matrice, nature de l'anticorps, etc.) mais aussi physiologique, l'exercice physique intense stimulant l'axe somatotrope, et donc la sécrétion d'hormone de croissance, en dehors de tout contexte de dopage. Les auteurs présentent donc un rappel de la physiologie de l'axe somatotrope avant d'aborder les différents aspects du dopage par cette hormone, les difficultés de sa mise en évidence et les perspectives dans ce domaine.
Physiologie de l'hormone de croissance
L'hormone de croissance ou human growth hormone (hGH) des Anglo-Saxons est une petite hormone polypeptidique synthétisée dans les cellules somatotropes de l'antéhypophyse. Elle se présente sous la forme d'une chaîne monocaténaire de 191 acides aminés, présentant deux ponts disulfures entre les cystéines 53 et 165 d'une part, et les cystéines 182 et 189 d'autre part. Il est communément admis que l'hGH se présente sous deux formes, une forme principale de poids moléculaire 22 kDa, encore notée 22 kDa-hGH, et une forme accessoire 20 kDa-hGH. La réalité est beaucoup plus complexe. L'hGH est en fait un mélange de plusieurs formes moléculaires, comprenant des monomères de 27, 22, 20, 17 et 5 kDa, et des oligomères tels que little-, big- et big-big-GH. Seule l'isoforme 22 kDa possède toutes les propriétés de l'hormone de croissance [1].
Après sa libération dans le plasma, l'hGH est liée à 45 % pour la forme 22 kDa et à 20 % pour la forme 20 kDa à des protéines de liaison dites GH-binding proteins (GHBP). Les GHBP sont au nombre de trois : la plus importante, qui possède une haute affinité pour la forme 22 kDa, présente une similitude structurelle avec le do
maine extramembranaire du récepteur de l'hGH ; la seconde, de faible affinité, lie préférentiellement la forme 22 kDa ; la troisième est spécifique de la forme 20 kDa [2].
La demi-vie de 22 kDa-hGH est réduite, de l'ordre d'une vingtaine de minutes [2]. L'isoforme 20 kDa et les oligomères auraient une demi-vie plus longue [3]. Le métabolisme est hépatique, et seule une infime fraction, de l'ordre de 0,01 %, à 0,001 % est éliminée dans les urines, en raison d'une réabsorption et d'un catabolisme tubulaire proximal importants [4].
Rythme sécrétoire
La sécrétion d'hGH est pulsatile, avec un certain nombre de bouffées sécrétoires diurnes d'amplitude relativement faible, liées à l'alimentation, à l'exercice physique ou au stress, et de bouffées nocturnes, plus constantes dans leur chronologie, et dont la première bouffée, ou pic majeur, est liée à l'apparition de la première phase de sommeil lent [2]. La concentration plasmatique d'hGH lors des pics est extrêmement élevée, alors qu'elle est souvent inférieure à la limite de détection des dosages immunologiques usuels entre les bouffées [5]. Les caractéristiques de cette sécrétion (amplitude des pics, périodicité) varient en fonction de l'âge et du sexe [2]. La sécrétion de la forme 20 kDa semble nettement moins soumise aux variations nycthémérales et aux stimuli physiologiques que la forme 22 kDa [6].
Régulation de la sécrétion
La sécrétion de l'hGH est sous la dépendance de deux facteurs hypothalamiques spécifiques, l'un inhibiteur, la somatostatine ou SRIH (somatotrope release inhibiting factor), et l'autre inducteur, la somatocrinine ou GHRH (growth hormone-releasing hormone). La sécrétion de ces peptides hypothalamiques est elle-même régulée par un rétrocontrôle exercé par l'hGH et l'IGF-I [2] (figure 1). Ces peptides hypothalamiques peuvent être eux-mêmes influencés par les neurotransmetteurs adrénergiques ou cholinergiques, par les opiacés endogènes, par certains états pathologiques (dénutrition liée au sida ou à l'anorexie mentale, hypo- ou hyperglycémie), ou par certains acides aminés (arginine, ornithine). Par ailleurs, certains peptides de synthèse, qualifiés de sécrétagogues ou GHRP (GH releasing peptides) stimulent la sécrétion d'hGH au niveau hypophysaire et hypothalamique (GHRP-1, GHRP-2, GHRP-6, MK-677, hexareline) [7, 8]. Le récepteur de ces GHRP a été cloné chez l'homme et le ligand endogène de ce récepteur, la ghréline, a été isolé à partir d'extraits d'estomac de rat [9]. Les GHRP peuvent d'ailleurs être considérés comme des analogues de la ghréline puisqu'ils interagissent avec son récepteur.-
Hormone de croissance et somatomédines
Les principaux effets de l'hormone de croissance sont médiés par des polypeptides de quelques dizaines d'acides aminés, les IGF (insuline-like growth factor), somatomédines présentant de grandes analogies structurales avec la pro-insuline, d'où leur dénomination. Les effets de l'IGF-I sont actuellement bien documentés, contrairement à ceux de l'IGF-II. L'IGF-I est un petit polypeptide de 70 acides aminés (7,65 kDa). Sa synthèse est essentiellement hépatique (effets endocrines), sous le contrôle de l'hGH circulante, mais aussi locale, au niveau de ses principaux tissus cibles, chondrocytes, ostéoblastes, ovaires, testicules, fibroblastes (effets auto/paracrines) [2]. L'IGF-I circule dans le plasma sous forme liée aux IGFBP (insuline-like growth factor binding proteins) [10]. Les IGFBP existent sous six formes différentes, liant aussi bien l'IGF-I que l'IGF-II, mais avec des affinités différentes. L'IGFBP-3, dont la synthèse est hGH-dépendante, est la forme la plus abondante. C'est un polypeptide de 264 acides aminés, synthétisé au niveau hépatique, de masse relative 28 kDa. Dans le plasma, l'IGF-I circule liée aux IGFBP, et principalement à l'IGFBP-3, sous forme de :
complexes ternaires de masse 140 kDa, constitués d'IGF-I, d'IGFBP et de sous-unité alpha labile (acid labile subunit ou ALS), protéine glycosylée synthétisée par le foie. Cette forme est considérée comme la forme prédominante dans le plasma [11] ;
complexes binaires de masse relative 40 kDa, constitués d'IGF-I et d'IGFBP.
Ces liaisons augmentent la durée de vie de l'IGF-I et en modulent la biodisponibilité. Les complexes ternaires demeurent dans le secteur vasculaire, alors que les complexes binaires peuvent traverser les capillaires vers les tissus pour y exercer leur activité localement [12].
Actions physiologiques de l'hormone de croissance
L'action principale de l'hGH s'exerce sur la croissance du squelette et des tissus. L'hGH et l'IGF-I stimulent les chondrocytes et le remodelage osseux et régulent la production de vitamine D. L'hGH stimule également la synthèse protéique dans le muscle et augmente le taux des ARNm codant pour les chaînes longues de la myosine. Les effets métaboliques de l'hGH ne font pas intervenir les somatomédines. Sur le métabolisme glucidique et lipidique, l'hGH possède un effet dit insulino-semblable précoce et très transitoire, suivi d'un effet insulino-résistant prolongé. Cet effet insulino-résistant entraîne une augmentation de la glycémie à jeun et de la production hépatique de glucose. Sur le métabolisme lipidique, cet effet anti-insuline se traduit par une hydrolyse des triglycérides et une augmentation du transport des acides gras libres du tissu adipeux vers le foie. On observe également une inhibition de la réestérification des acides gras libres par les adipocytes. Il en résulte donc une augmentation des acides gras libres circulants. Sur le métabolisme protidique, l'hGH possède enfin un effet anabolique majeur qui joue un rôle prépondérant dans la croissance tissulaire. L'hGH augmente le transport des acides aminés dans les différents tissus, stimule la synthèse protéique et augmente la synthèse des acides nucléiques. Elle provoque ainsi une rétention azotée et une modification de la composition corporelle avec diminution de la masse grasse et augmentation de la masse maigre [2]. Les études cliniques réalisées chez l'adulte présentant un déficit en hGH montrent que l'administration de faibles doses de GH augmente la masse maigre, la masse musculaire, la force musculaire, les performances maximales en condition aérobie et le débit cardiaque après l'effort [13], alors que la masse graisseuse diminue. Cette administration augmenterait également la masse globulaire ainsi que la capacité de transport de l'oxygène [14].
Hormone de croissance et sport
En dehors de tout contexte de dopage, l'exercice physique stimule l'axe somatotrope chez l'adulte sain, dont les taux d'hGH circulante augmentent alors. La réponse de l'axe somatotrope à l'exercice physique est difficile à établir avec précision, compte tenu du fait que les différents protocoles expérimentaux réalisés jusqu'alors sont difficilement comparables, notamment au niveau du recrutement des volontaires et du type d'effort réalisé. Certaines conclusions peuvent toutefois se dégager. Chez l'adulte sain sportif occasionnel, l'effort physique intense entraîne un pic d'hGH. La valeur seuil à partir de laquelle la sécrétion d'hGH augmente se situe aux alentours de 30 % de la VO2max [15]. L'importance de ce pic varie en particulier en fonction du type et de l'intensité de l'exercice, certains auteurs ayant décrit des augmentations pouvant aller jusqu'à 100 fois le taux basal en anaérobie [15, 16]. Selon Wallace et al. [17], le taux d'hGH se normaliserait en 20 à 30 minutes à la fin de l'exercice. Un exercice modéré et prolongé s'accompagnerait également d'une augmentation des taux jusqu'à dix fois la valeur normale. Cette augmentation de la production d'hGH se traduit naturellement par une augmentation de l'amplitude des pics [18].
L'exercice physique entraîne en réalité des modifications de tout l'axe somatotrope qui sont difficiles à établir avec précision, et varient naturellement avec l'intensité de l'effort effectué. Schwarz et al. [19] ont étudié l'évolution de l'IGF-I, de l'IGF-II et de l'IGFBP-3 en distinguant l'exercice modéré de l'exercice intense. L'exercice modéré (56 % VO2max) entraîne une élévation de l'IGF-I au bout de quelques minutes avec un retour à l'état basal après la fin de l'exercice, ainsi qu'une augmentation de l'IGFBP-3, alors que l'IGF-II n'augmente pas de manière statistiquement significative. L'exercice intense (79 % VO2max) entraîne une augmentation de l'IGF-I comparable à celle observée lors de l'exercice modéré, une augmentation de l'IGF-II et une augmentation de l'IGFBP-3 significativement plus marquée que celle observée lors d'un exercice modéré. Enfin, l'exercice intense entraîne une augmentation significative de la lyse du complexe IGF-I/IGFBP-3, augmentant probablement la biodisponibilité de l'IGF-I lors de ce type d'exercice. Selon Wallace et al. [17], les concentrations d'IGF-I totale augmenteraient lors d'un exercice intense (80 % VO2max) pour ensuite retourner aux valeurs basales en une trentaine de minutes à la fin de l'exercice, les concentrations d'IGF-I libre n'augmentant pas de manière significative lors de ce même effort ; ce résultat ne corrobore pas l'hypothèse précédente selon laquelle l'effort intense s'accompagne d'une lyse accrue du complexe IGF-I/IGFBP-3 afin d'augmenter la biodisponibilité de l'IGF-I. Par ailleurs, l'IGFBP-1 demeurerait inchangée pendant l'exercice, mais augmenterait 30 minutes après l'exercice, alors que l'IGFBP-2 ne serait pas influencée par ce même exercice. L'IGFBP-3 augmenterait à la fin de l'exercice pour décliner environ 45 minutes plus tard, l'ALS suivant exactement le même profil. Les ratios IGF-I/IGFBP-3, IGF-I/ALS, IGFBP-3/ALS demeurent inchangés pendant l'exercice.
Indications thérapeutiques de l'hormone de croissance
Les indications thérapeutiques principales de l'hormone de croissance sont chez l'enfant : le retard de croissance lié à un déficit somatotrope, la petite taille dans le cadre d'un syndrome de Turner, le retard de croissance de l'enfant prépubère dû à une insuffisance rénale chronique, ainsi que les très petites tailles consécutives à un retard de croissance à début intra-utérin avec une taille inférieure à trois dérivations standards. Chez l'adulte, l'indication principale demeure le déficit en hormone de croissance. L'administration d'hormone de croissance dans les états de cachexie liés au sida (aids-wasting-syndrome) fait actuellement l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur le marché. L'administration d'hormone de croissance pourrait également être indiquée en cas de lipodystrophie due à l'indinavir, d'insuffisance cardiaque congestive ou de myocardiopathie. Jusqu'au milieu des années 1980, ce traitement reposait sur l'administration d'hGH extraite d'hypophyses de cadavres. Lorsqu'en 1985 la relation fut faite entre ces traitements et les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, l'hGH fut retirée du marché. Actuellement, le produit utilisé est une hormone humaine recombinante ou r-hGH, produite par génie génétique, soit à partir de souches d'Escherichia coli, soit à partir de cultures de cellules de souris transformées. La séquence des acides aminés de cette hormone est strictement identique à la séquence de la forme 22 kDa-hGH. Cette hormone est commercialisée en France par Novo Nordisk pharmaceutique sous l'appellation Norditropine ® , par Lilly France sous l'appellation Umatrope ® ou par Pharmacia-Upjohn sous l'appellation Genotonorm ® . Il s'agit de médicaments d'exception dont la prescription initiale est strictement réservée aux médecins spécialistes en endocrinologie et maladies métaboliques ou en pédiatrie. La dose usuelle en pédiatrie varie en fonction des indications entre 0,5 et 1,2 UI/kg par semaine, répartie en six ou sept injections à effectuer par voie sous-cutanée. Chez l'adulte, ces doses sont plus faibles, de l'ordre de 0,4 à 0,6 UI/kg en 3 à 6 injections par semaine.
Hormone de croissance et dopage
L'hormone de croissance appartient à la classe E (hormones peptidiques, substances mimétiques et analogues) des substances interdites du code antidopage du mouvement olympique et par le ministère de la Jeunesse et des Sports français [20, 21].
L'utilisation de l'hormone de croissance comme produit dopant a pris un essor considérable lors de l'apparition sur le marché de l'hormone humaine recombinante dans les années 1990. Les motifs évoqués par les athlètes pour expliquer ce gain de popularité sont son efficacité, son excellente tolérance immédiate et son absence d'effets secondaires majeurs. La réalité est tout autre, ainsi que nous le détaillerons ultérieurement. Par ailleurs, le fait qu'elle ne soit pas détectable dans le cadre des contrôles antidopage représente un argument décisif dans la stratégie de dopage des sportifs [18]. Enfin, elle est d'un emploi aisé, le plus souvent sous forme de stylos prêts pour l'auto-injection. En revanche, son prix extrêmement élevé et sa prescription très sévèrement contrôlée en France rendent son accès difficile, et l'on assiste au développement d'un véritable marché clandestin où le risque est grand d'acquérir des produits de qualité douteuse, voire même d'origine animale, avec les risques infectieux que cela comporte.
L'hormone de croissance est essentiellement recherchée pour ses effets anabolisants et lipolytiques. La motivation première des sportifs est d'accroître leur masse et leur puissance musculaire, et de réduire leur masse graisseuse. L'hormone de croissance permettrait également d'augmenter la résistance des tendons à l'effort. Enfin, et ceci est un argument décisionnel important dans la stratégie de dopage de certaines équipes sportives, l'administration d'hormone de croissance après la compétition permettrait de diminuer le temps de récupération en réduisant le catabolisme protidique [18, 22].
L'hormone de croissance est massivement employée dans tous les sports où la performance est significativement corrélée à la masse musculaire [18]. Il semblerait toutefois que ces effets comportent une grande part de subjectivité. En effet, les rares études scientifiques menées à ce sujet n'ont pas réellement démontré le bénéfice de l'administration de larges doses d'hormone de croissance sur la performance [23], alors que les effets secondaires sont importants. Il s'agit essentiellement de perturbations métaboliques (troubles de la glycorégulation, élévation des acides gras libres, rétention hydrosodée), d'un syndrome dysmorphique (dysmorphie acrofaciale, mégasplanchnie), d'une accélération d'éventuels cancers du sein et du côlon, de lipodystrophies aux points d'injection, sans omettre naturellement les éventuelles pathologies secondaires à l'origine de l'hormone, au premier rang desquelles se situe la maladie de Creutzfeldt-Jakob [24, 25].
Modalités de consommation
Les sportifs s'administrent l'hormone de croissance par voie sous-cutanée. Les protocoles sont variables et difficiles à connaître avec précision, les sources dont nous disposons étant essentiellement des témoignages anonymes de sportifs dopés. L'hormone de croissance peut être utilisée seule, les doses évoquées étant de l'ordre de 10 à 25 UI/j, 3 ou 4 jours par semaine en cures de 6 à 12 semaines, ou en association avec d'autres produits dopants, en particulier les stéroïdes anabolisants, l'insuline ou encore l'IGF-I. Les doses seraient alors légèrement inférieures, de l'ordre de 3 à 4 UI/j, mais demeurent dans tous les cas très supérieures aux doses utilisées en thérapeutique [18]. L'association de l'hormone de croissance à d'autres produits dopants, en particulier aux stéroïdes anabolisants, permet d'augmenter - théoriquement - l'efficacité du protocole utilisé, en particulier sur la masse musculaire, en diminuant les doses respectives de chaque produit et donc leurs effets secondaires. L'association à l'IGF-I, également produite par génie génétique, ne facilite pas la compréhension du problème.
Le coût extrêmement élevé de l'hormone de croissance sur le marché clandestin a conduit certains athlètes à stimuler leur production endogène de GH en consommant des compléments alimentaires à base d'acides aminés tels que l'arginine, l'ornithine, la lysine ou le tryptophane. L'efficacité de cette méthode n'est pas encore prouvée [18]. Enfin, l'apparition sur le marché des sécrétagogues risque de compliquer encore le problème du dopage.
Effets de l'administration de r-hGH sur l'axe somatotrope
L'appréciation des effets sur l'axe somatotrope de l'administration de r-hGH chez le sportif dopé est extrêmement difficile. Wallace et al. [17] ont comparé la réponse de l'axe somatotrope au repos, pendant, et après un exercice intense (80 % VO2max) chez des sujets traités par 0,15 UI/kg/j de r-hGH pendant 7 jours, à la réponse au même exercice de sujets sains vierges de toute administration de r-hGH. Selon ces auteurs, l'administration de r-hGH entraîne une élévation des concentrations sanguines d'hGH au repos et une diminution significative de la sécrétion d'hGH à l'exercice intense. Par ailleurs, les concentrations sériques d'IGF-I totale augmentent de manière significative avant, pendant et après l'effort. Les concentrations d'IGF-I libres présentent également une augmentation durant ces trois périodes. L'administration de r-hGH augmenterait le taux basal d'IGF-I ainsi que le pic à l'exercice, et provoquerait une diminution du taux basal d'IGFBP-1, sans toutefois supprimer le pic après l'exercice. L'administration de r-hGH provoque une augmentation significative du taux basal et à l'exercice d'IGFBP-3 et d'ALS. En revanche, fait très intéressant, le ratio IGF-I/IGFBP-3 augmente aussi bien au repos qu'à l'effort, le ratio IGF-I/ALS également, alors que le ratio IGFBP-3/ALS reste constant.
Mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance
La mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance représente un véritable challenge pour les toxicologues analystes. Les dosages sanguins et urinaires actuellement utilisés pour le diagnostic des déficits en hormone de croissance ne sont pas applicables au dépistage d'une conduite dopante. De nouvelles voies de recherche sont en cours de développement. Nous allons à présent envisager ces différents aspects.
Les dosages plasmatiques sont généralement effectués par des techniques immunologiques, les premières utilisées étaient des techniques RIA, supplantées ensuite par les techniques Elisa. Les résultats obtenus avec ces tests sont très hétérogènes ; les raisons sont multiples : nature du standard utilisé pour la calibration, effet de matrice, nature et spécificité de l'anticorps. En effet, compte tenu du fait que la GH circule sous différentes isoformes, le nombre de molécules de GH détectées dépendra naturellement de l'épitope utilisé [5]. Récemment ont été proposées des techniques d'électrophorèse capillaire couplée à la spectrométrie de masse ou des techniques d'ionisation par électrospray (ESI) couplée à la masse. Ces technologies n'ont cependant à l'heure actuelle été testées qu'avec des échantillons d'hormone pure, et non avec des échantillons sériques, avec lesquels les interférences avec d'autres protéines risquent d'être très larges. Par ailleurs, ces méthodes requièrent des échantillons de grande taille et sont excessivement onéreuses [26].
Aujourd'hui, la détection d'un abus d'hormone de croissance demeure impossible à prouver de manière directe et formelle dans le sérum pour plusieurs raisons [24, 26] :
du fait de la sécrétion pulsatile de l'hGH, une concentration élevée obtenue sur un prélèvement ponctuel peut très bien refléter un pic de sécrétion spontané ;
l'exercice physique étant lui-même un puissant stimulus de la sécrétion d'hGH, un pic de sécrétion après l'effort ne peut être formellement imputé à un apport exogène de r-hGH ;
l'existence de variations inter-individuelles importantes ;
la séquence des amino-acides de l'hormone recombinante étant strictement identique à la forme majoritaire circulante (forme 22 kDa), les tests immunologiques actuellement disponibles pour ces dosages ne permettent pas de différencier les deux formes.
L'excrétion urinaire (u-hGH) se fait sous forme inchangée. On retrouve donc dans les urines un mélange des différentes isoformes d'hGH. La quantité d'u-hGH pré
sente une corrélation positive avec la quantité d'hGH circulante. Cette excrétion urinaire est cependant très faible, puisque seule une fraction de l'ordre de 0,001 à 0,01 % de l'hGH circulante est éliminée dans les urines, du fait d'une réabsorption tubulaire proximale importante. Cela implique que le seuil de détection de ces méthodes soit impérativement très bas, de l'ordre de 1 ng/L [27]. Par ailleurs, l'effort physique intense, indépendamment de tout dopage, augmente considérablement l'excrétion rénale d'hGH. Cette augmentation est d'ailleurs fortement variable d'un type d'effort à l'autre [28]. Le dosage urinaire est classiquement effectué par des techniques Elisa. Du fait de ces multiples raisons, le dépistage urinaire n'est donc pas applicable sous sa forme actuelle dans le cadre de la lutte antidopage.
Ces difficultés ont amené les analystes à envisager d'autres approches, indirectes, pour mettre en évidence la consommation de r-hGH dans le cadre de la lutte antidopage. La première approche repose sur le dosage des différentes isoformes de l'hormone de croissance. Wu et al. [29] ont développé deux tests immunologiques utilisant des anticorps monoclonaux dirigés l'un contre la forme 22 kDa, avec une préférence pour la forme recombinante, et l'autre contre toutes les isoformes de l'hormone de croissance (GH totale). La prise de r-hGH entraînerait une augmentation du ratio [22 kDa/GH totale] dans le sérum. Une autre piste semble également prometteuse : Momomura et al. [6] ont utilisé deux tests Elisa, l'un monoclonal dirigé contre la forme 20 kDa, et l'autre polyclonal dirigé contre la forme 22 kDa [30]. L'administration de r-hGH entraîne naturellement une diminution du ratio [20 kDa/22 kDa total] dans une tranche horaire de 2 à 10 heures après l'administration de r-hGH. Le ratio [20 kDa/22 kDa endogène] étant constant chez un même individu, il devient alors possible de déterminer l'existence d'un apport éventuel de r-hGH, et d'en évaluer le cas échéant la quantité. L'excellente sensibilité des tests développés pourrait rendre cette technique applicable aux urines. Une étude récente de Wallace et al. [31] démontre que l'administration de doses supraphysiologiques de r-hGH chez des sportifs entraînés provoque une abolition de la sécrétion des isoformes 20 kDa et plus généralement des isoformes non-22 kDa par un rétrocontrôle négatif de l'IGF-I sur l'antéhypophyse. Ces résultats récents viennent confirmer l'intérêt de ces tests immunologiques indirects.
La seconde approche indirecte repose sur l'étude des modifications induites par l'administration de r-hGH sur l'IGF-1 et les IGFBP, ainsi que sur les marqueurs du remodelage osseux.
L'administration de r-hGH à des doses supraphysiologiques chez un adulte sain entraîne une augmentation de la sécrétion d'IGF-1, d'IGFBP-3, d'ALS ainsi qu'une diminution significative de la sécrétion d'IGFBP-2. Il faut toutefois préciser que ces résultats présentent des variations interindividuelles majeures [32], et que cette réponse de l'axe somatotrope est significativement plus marquée chez l'homme que chez la femme, en particulier en ce qui concerne l'ALS et l'IGFBP-3 [33]. Wallace et al. [17] ont ainsi proposé d'utiliser les trois composants du complexe ternaire, l'IGF-I, l'IGFBP-3 et l'ALS comme marqueurs d'une administration de r-hGH (tableau I). En effet, ces trois paramètres sont régulés par l'hGH, et les conditions physiologiques ou pathologiques dans lesquelles ces trois molécules sont augmentées sont bien connues : il s'agit de la puberté, des grossesses tardives et de l'acromégalie. Enfin, les concentrations de ces trois molécules sont relativement constantes au cours du nycthémère et ne sont que peu modifiées par l'effort intense chez le sujet non dopé. Kicman et al. [32] ont également proposé d'utiliser l'IGF-I, l'IGFBP-2 et l'IGFBP-3 (tableau I). La grande variabilité interindividuelle demeure cependant un problème sérieux [29, 32]. Des tests immunologiques sont actuellement disponibles pour le dosage de l'IGF-I et de l'IGFBP-3 [32]. Récemment, Strasburger et al. [34] ont mis au point un anticorps monoclonal pour le dosage de l'ALS.
Il semblerait enfin que les modifications des marqueurs du remodelage osseux induites par l'administration de r-hGH puissent servir d'indicateurs. En effet, le remodelage osseux étant sous la dépendance de l'hGH et de l'IGF-1, l'hypothèse que les marqueurs du remodelage osseux peuvent être affectés par l'administration de r-hGH a été évoquée. Longobardi et al. [35] ont ainsi testé les variations de l'ostéocalcine, du peptide C-terminal du procollagène de type I, du télopeptide C-terminal du collagène de type I, et du peptide N-terminal du procollagène de type III lors d'administration de r-hGH à faible dose (0,1 UI/kg/j) et à forte dose (0,2 UI/kg/j) chez une population d'hommes et de femmes. Les résultats montrent que
les deux doses testées augmentent significativement ces marqueurs, particulièrement l'ostéocalcine et le procollagène de type III dont l'augmentation persiste plus de 80 jours après l'arrêt de l'administration. Ces marqueurs sont, à l'état basal, stables au cours du temps chez un même individu et ne présentent que des variations liées à l'âge (corrélation négative) et au sexe (plus élevés chez l'homme). Cela signifie qu'une augmentation importante de ces marqueurs pourrait constituer un bon indicateur de dopage. L'incertitude réside dans le fait que cette étude a été réalisée chez des volontaires sains et que le profil de ces marqueurs chez des sportifs de haut niveau n'est pas encore établi.
CONCLUSION
Le dopage par l'hormone de croissance demeurera un problème crucial pour les instances chargées de la lutte antidopage tant que des méthodes de dépistage sensibles et spécifiques n'auront pas été dûment validées. Des progrès significatifs ont toutefois été accomplis, avec en particulier le dosage des différentes isoformes de l'hormone. Enfin, il n'est pas possible de conclure cet article sans soulever une nouvelle fois le problème du prélèvement sanguin. Le sang semble en effet, d'après les différentes études en cours, être le milieu de dépistage le plus approprié pour la mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance dans le cadre de la lutte antidopage. Or, si la loi du 23 mars 1999 autorise en France la réalisation d'un prélèvement sanguin lors des opérations de contrôle [36], il n'en n'est pas de même pour le code antidopage du comité international olympique [20].
Nous remercions le professeur Pierre Marquet pour sa relecture attentive et ses conseils avisés.
Article reçu le 29 juillet 2002, accepté le 4 octobre 2002
REFERENCES
1 Baumann G. Growth hormone heterogeneity: genes, isohormones, variants and binding proteins. Endocrinol Rev 1991 ; 12 : 424-49.
2 Sassolas G. Hormone somatotrope. Encycl Med Chir, Endocrinologie - Nutrition 1993 ; 10-017-K-10.
3 Fisker S, ¯rskov H. Factors modifying growth hormone estimates in immunoassays. Horm Res 1996 ; 46 : 183-7.
4 Maak T, Johnson V, Kau ST, Figueiredo J, Sigulem D. Renal filtration, transport, and metabolism of low-molecular-weight proteins: a review. Kidney Int 1979 ; 16 : 251-70.
5 Strasburger CJ. Laboratory assessment of GH. Growth Horm IGF Res 1998 ; 8 : 41-6.
6 Momomura S, Hashimoto Y, Shimazaki Y, Irie M. Detection of exogenous growth hormone (GH) administration by monitoring ratio of 20 kDaa- and 22 kDaa-GH in serum and urine. Endocrine J 2000 ; 47 : 97-101.
7 Casanueva FP, Dieguez C. Growth hormone secretagogues: physiological role and clinical utility. Trends Endocrinol Metab 1999 ; 10 : 30-8.
8 Copinschi G, Van Onderbergen A, L'Hermitte-Baleriaux M, et al. Effects of a 7-day treatment with a novel orally active, growth hormone (GH) secretagogue, MK-677, on 24-hour GH profiles, insulin-like growth factor I, and adrenocortical function in normal young men. J Clin Endocrinol Metab 1996 ; 81 : 2776-82.
9 Kojima M, Hosoda H, Date Y, Nakazato M, Matsuo H, Kangawa K. Ghrelin is a growth-hormone-releasing acylated peptide from stomach. Nature 1999 ; 402 : 656-60.
10 Rosenfeld RG, Lamson G, Pham H, et al. Insulin-like growth factor binding proteins. Recent Prog Horm Res 1990 ; 46 : 99-163.
11 Baxter RC. Circulating levels and molecular distribution of the acid-labile (alpha) subunit of the high molecular weight insulin-like growth factor-binding protein complex in normal subjects. J Clin Endocrinol Metab 1990 ; 70 : 1347-53.
12 Khosravi MJ, Diamandi A, Mistry J, Krishna RG, Khare A. Acid-labil subunit of human insulin-like growth factor-binding protein complex: measurement, molecular, and clinical evaluation. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 3944-51.
13 Cuneo RC, Salomon F, McGauley GA, Sönksen PH. The growth hormone deficiency syndrome in adults. Clin Endocrinol 1992 ; 37 : 387-97.
14 Christ E, Cummings MH, Westwood NB, et al. The importance of growth hormone in the regulation of erythropoiesis, red cell-mass, and plasma volume in adults with growth hormone deficiency. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 2985-90.
15 Felsing NE, Brasel JA, Cooper DM. Effect of low and high intensity exercise on circulating growth hormone in men. J Clin Endocrinol Metab 1992 ; 75 : 157-62.
16 Kraemer WJ, Aguilera BA, Terada M, et al. Responses of IGF-I to endogenous increases in growth hormone after heavy-resistance exercise. J Appl Physiol 1995 ; 79 : 1310-5.
17 Wallace JD, Cuneo RC, Baxter R, et al. Responses of the growth hormone (GH) and insuline-like growth factor axis to exercice, GH administration, and GH withdrawal in trained adult males: a potentiel test for GH abuse in sport. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 3591-601.
18 Ehrnborg C, Bengtsson BA, Rosén T. Growth hormone abuse. Bailliere's Clin Endocrinol Metab 2000 ; 14 : 71-7.
19 Schwarz AJ, Brasel JA, Hintz RL, Mohan S, Cooper DM. Acute effect of brief low- and high-intensity exercise on circulating insulin-like growth factor (IGF) I, II and IGF-binding protein-3 and its proteolysis in young healthy men. J Clin Endocrinol Metab 1996 ; 81 : 3492-7.
20 Code antidopage du mouvement olympique. http :/www.olympic.org/
21 Arrêté du 25 avril 2002 relatif aux substances et aux procédés mentionnés à l'article L.3631-1 du code de la santé publique. JORF 25 avril 2002 ; 97 : 7410.
22 Davies JS, Morgan CL, Currie CJ, Green JT. Growth hormone use by body builders. Br J Sports Med 1997 ; 31 : 352-3.
23 Jenkins PJ. Growth hormone and exercise: physiology, use and abuse. Growth Horm IGF Res 2001 ; 11 : S71-7.
24 Jenkins PJ. Growth hormone and exercise. Clin Endocrinol 1999 ; 50 : 683-9.
25 Deyssig R, Frisch H. Self-administration of cadaveric growth hormone in power athletes. Lancet 1993 ; 341 : 768-9.
26 Arcelloni C, Fermo I, Banfi G, Pontiroli AE, Paroni R. Capillary electrophoresis for protein analysis: separation of growth hormone and human insulin molecular forms. Anal Biochem 1993 ; 212 : 160-7.
27 McConway MG, Smith KA, Beastall GH. Development and evaluation of a direct immunofluorimetric assay for urinary growth hormone. Ann Clin Biochem 1999 ; 36 : 649-54.
28 Saugy M, Cardis C, Schweizer C, Veuthey JL, Rivier L. Detection of human growth hormone doping urine: out of competition tests are necessary. J Chromatogr B 1996 ; 687 : 201-11.
29 Wu Z, Bidlingmaier M, Dall R, Strasburger CJ. Detection of doping with human growth hormone. Lancet 1999 ; 353 : 895.
30 Tsushima T, Katoh Y, Miyachi Y, et al. Serum concentration of 20K human growth hormone (20K hGH) measured by a specific enzyme-linked immunosorbent assay. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 317-22.
31 Wallace JD, Cuneo RC, Bidlingmaier M, et al. Changes in non-22-kilodalton (kDa) isoforms of growth hormone (GH) after administration of 22-kDaa recombinant human GH in trained adult males. Clin Endocrinol Metab 2001 ; 86 : 1731-7.
32 Kicman AT, Miell JP, Teale JD, et al. Serum IGF-I and IGF binding proteins 2 and 3 as potential markers of doping with human GH. Clin Endocrinol 1997 ; 47 : 43-50.
33 Dall R, Longobardi S, Ehrnborg C, et al. The effect of four weeks of supraphysiological growth hormone administration on the insulin-like growth factor axis in women and men. J Clin Endocrinol Metab 2000 ; 85 : 4193-200.
34 Stadler S, Wu Z, Dressendorfer RA, et al. Monoclonal anti-acid-labile subunit oligopeptide antibodies and their use in a two-site immunoassay for ALS measurement in humans. J Immunol Methods 2001 ; 252 : 73-82.
35 Longobardi S, Keay N, Ehrnborg C, et al. Growth hormone (GH) effects on bone and collagen turnover inhealthy adults and its potential as a marker of GH abuse in sports: a double blind, placebo-controlled study. J Clin Endocrinol Metab 2000 ; 85 : 1505-12.
36 Loi no 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage modifiée par le décret no 2001-35 du 11 janvier 2001 relatif aux examens et prélèvements autorisés pour la lutte contre le dopage. JORF 13 janvier 2001 ; 11 : 658.
L'hormone de croissance est l'un des produits dopants les plus largement utilisés aujourd'hui, principalement du fait de ses propriétés anabolisantes et lipolytiques, mais aussi du fait d'une réputation erronée d'innocuité ainsi que de l'impossibilité de prouver sa consommation de manière formelle avec les techniques immunologiques actuelles. En effet, si ces techniques ont démontré leur efficacité dans le cadre du diagnostic des déficits en hormone de croissance, elles ne sont pas applicables dans le cadre de la lutte antidopage. Les raisons sont naturellement d'ordre analytique (seuils de sensibilité, effet de matrice, nature de l'anticorps, etc.) mais aussi physiologique, l'exercice physique intense stimulant l'axe somatotrope, et donc la sécrétion d'hormone de croissance, en dehors de tout contexte de dopage. Les auteurs présentent donc un rappel de la physiologie de l'axe somatotrope avant d'aborder les différents aspects du dopage par cette hormone, les difficultés de sa mise en évidence et les perspectives dans ce domaine.
Physiologie de l'hormone de croissance
L'hormone de croissance ou human growth hormone (hGH) des Anglo-Saxons est une petite hormone polypeptidique synthétisée dans les cellules somatotropes de l'antéhypophyse. Elle se présente sous la forme d'une chaîne monocaténaire de 191 acides aminés, présentant deux ponts disulfures entre les cystéines 53 et 165 d'une part, et les cystéines 182 et 189 d'autre part. Il est communément admis que l'hGH se présente sous deux formes, une forme principale de poids moléculaire 22 kDa, encore notée 22 kDa-hGH, et une forme accessoire 20 kDa-hGH. La réalité est beaucoup plus complexe. L'hGH est en fait un mélange de plusieurs formes moléculaires, comprenant des monomères de 27, 22, 20, 17 et 5 kDa, et des oligomères tels que little-, big- et big-big-GH. Seule l'isoforme 22 kDa possède toutes les propriétés de l'hormone de croissance [1].
Après sa libération dans le plasma, l'hGH est liée à 45 % pour la forme 22 kDa et à 20 % pour la forme 20 kDa à des protéines de liaison dites GH-binding proteins (GHBP). Les GHBP sont au nombre de trois : la plus importante, qui possède une haute affinité pour la forme 22 kDa, présente une similitude structurelle avec le do
maine extramembranaire du récepteur de l'hGH ; la seconde, de faible affinité, lie préférentiellement la forme 22 kDa ; la troisième est spécifique de la forme 20 kDa [2].
La demi-vie de 22 kDa-hGH est réduite, de l'ordre d'une vingtaine de minutes [2]. L'isoforme 20 kDa et les oligomères auraient une demi-vie plus longue [3]. Le métabolisme est hépatique, et seule une infime fraction, de l'ordre de 0,01 %, à 0,001 % est éliminée dans les urines, en raison d'une réabsorption et d'un catabolisme tubulaire proximal importants [4].
Rythme sécrétoire
La sécrétion d'hGH est pulsatile, avec un certain nombre de bouffées sécrétoires diurnes d'amplitude relativement faible, liées à l'alimentation, à l'exercice physique ou au stress, et de bouffées nocturnes, plus constantes dans leur chronologie, et dont la première bouffée, ou pic majeur, est liée à l'apparition de la première phase de sommeil lent [2]. La concentration plasmatique d'hGH lors des pics est extrêmement élevée, alors qu'elle est souvent inférieure à la limite de détection des dosages immunologiques usuels entre les bouffées [5]. Les caractéristiques de cette sécrétion (amplitude des pics, périodicité) varient en fonction de l'âge et du sexe [2]. La sécrétion de la forme 20 kDa semble nettement moins soumise aux variations nycthémérales et aux stimuli physiologiques que la forme 22 kDa [6].
Régulation de la sécrétion
La sécrétion de l'hGH est sous la dépendance de deux facteurs hypothalamiques spécifiques, l'un inhibiteur, la somatostatine ou SRIH (somatotrope release inhibiting factor), et l'autre inducteur, la somatocrinine ou GHRH (growth hormone-releasing hormone). La sécrétion de ces peptides hypothalamiques est elle-même régulée par un rétrocontrôle exercé par l'hGH et l'IGF-I [2] (figure 1). Ces peptides hypothalamiques peuvent être eux-mêmes influencés par les neurotransmetteurs adrénergiques ou cholinergiques, par les opiacés endogènes, par certains états pathologiques (dénutrition liée au sida ou à l'anorexie mentale, hypo- ou hyperglycémie), ou par certains acides aminés (arginine, ornithine). Par ailleurs, certains peptides de synthèse, qualifiés de sécrétagogues ou GHRP (GH releasing peptides) stimulent la sécrétion d'hGH au niveau hypophysaire et hypothalamique (GHRP-1, GHRP-2, GHRP-6, MK-677, hexareline) [7, 8]. Le récepteur de ces GHRP a été cloné chez l'homme et le ligand endogène de ce récepteur, la ghréline, a été isolé à partir d'extraits d'estomac de rat [9]. Les GHRP peuvent d'ailleurs être considérés comme des analogues de la ghréline puisqu'ils interagissent avec son récepteur.-
Hormone de croissance et somatomédines
Les principaux effets de l'hormone de croissance sont médiés par des polypeptides de quelques dizaines d'acides aminés, les IGF (insuline-like growth factor), somatomédines présentant de grandes analogies structurales avec la pro-insuline, d'où leur dénomination. Les effets de l'IGF-I sont actuellement bien documentés, contrairement à ceux de l'IGF-II. L'IGF-I est un petit polypeptide de 70 acides aminés (7,65 kDa). Sa synthèse est essentiellement hépatique (effets endocrines), sous le contrôle de l'hGH circulante, mais aussi locale, au niveau de ses principaux tissus cibles, chondrocytes, ostéoblastes, ovaires, testicules, fibroblastes (effets auto/paracrines) [2]. L'IGF-I circule dans le plasma sous forme liée aux IGFBP (insuline-like growth factor binding proteins) [10]. Les IGFBP existent sous six formes différentes, liant aussi bien l'IGF-I que l'IGF-II, mais avec des affinités différentes. L'IGFBP-3, dont la synthèse est hGH-dépendante, est la forme la plus abondante. C'est un polypeptide de 264 acides aminés, synthétisé au niveau hépatique, de masse relative 28 kDa. Dans le plasma, l'IGF-I circule liée aux IGFBP, et principalement à l'IGFBP-3, sous forme de :
complexes ternaires de masse 140 kDa, constitués d'IGF-I, d'IGFBP et de sous-unité alpha labile (acid labile subunit ou ALS), protéine glycosylée synthétisée par le foie. Cette forme est considérée comme la forme prédominante dans le plasma [11] ;
complexes binaires de masse relative 40 kDa, constitués d'IGF-I et d'IGFBP.
Ces liaisons augmentent la durée de vie de l'IGF-I et en modulent la biodisponibilité. Les complexes ternaires demeurent dans le secteur vasculaire, alors que les complexes binaires peuvent traverser les capillaires vers les tissus pour y exercer leur activité localement [12].
Actions physiologiques de l'hormone de croissance
L'action principale de l'hGH s'exerce sur la croissance du squelette et des tissus. L'hGH et l'IGF-I stimulent les chondrocytes et le remodelage osseux et régulent la production de vitamine D. L'hGH stimule également la synthèse protéique dans le muscle et augmente le taux des ARNm codant pour les chaînes longues de la myosine. Les effets métaboliques de l'hGH ne font pas intervenir les somatomédines. Sur le métabolisme glucidique et lipidique, l'hGH possède un effet dit insulino-semblable précoce et très transitoire, suivi d'un effet insulino-résistant prolongé. Cet effet insulino-résistant entraîne une augmentation de la glycémie à jeun et de la production hépatique de glucose. Sur le métabolisme lipidique, cet effet anti-insuline se traduit par une hydrolyse des triglycérides et une augmentation du transport des acides gras libres du tissu adipeux vers le foie. On observe également une inhibition de la réestérification des acides gras libres par les adipocytes. Il en résulte donc une augmentation des acides gras libres circulants. Sur le métabolisme protidique, l'hGH possède enfin un effet anabolique majeur qui joue un rôle prépondérant dans la croissance tissulaire. L'hGH augmente le transport des acides aminés dans les différents tissus, stimule la synthèse protéique et augmente la synthèse des acides nucléiques. Elle provoque ainsi une rétention azotée et une modification de la composition corporelle avec diminution de la masse grasse et augmentation de la masse maigre [2]. Les études cliniques réalisées chez l'adulte présentant un déficit en hGH montrent que l'administration de faibles doses de GH augmente la masse maigre, la masse musculaire, la force musculaire, les performances maximales en condition aérobie et le débit cardiaque après l'effort [13], alors que la masse graisseuse diminue. Cette administration augmenterait également la masse globulaire ainsi que la capacité de transport de l'oxygène [14].
Hormone de croissance et sport
En dehors de tout contexte de dopage, l'exercice physique stimule l'axe somatotrope chez l'adulte sain, dont les taux d'hGH circulante augmentent alors. La réponse de l'axe somatotrope à l'exercice physique est difficile à établir avec précision, compte tenu du fait que les différents protocoles expérimentaux réalisés jusqu'alors sont difficilement comparables, notamment au niveau du recrutement des volontaires et du type d'effort réalisé. Certaines conclusions peuvent toutefois se dégager. Chez l'adulte sain sportif occasionnel, l'effort physique intense entraîne un pic d'hGH. La valeur seuil à partir de laquelle la sécrétion d'hGH augmente se situe aux alentours de 30 % de la VO2max [15]. L'importance de ce pic varie en particulier en fonction du type et de l'intensité de l'exercice, certains auteurs ayant décrit des augmentations pouvant aller jusqu'à 100 fois le taux basal en anaérobie [15, 16]. Selon Wallace et al. [17], le taux d'hGH se normaliserait en 20 à 30 minutes à la fin de l'exercice. Un exercice modéré et prolongé s'accompagnerait également d'une augmentation des taux jusqu'à dix fois la valeur normale. Cette augmentation de la production d'hGH se traduit naturellement par une augmentation de l'amplitude des pics [18].
L'exercice physique entraîne en réalité des modifications de tout l'axe somatotrope qui sont difficiles à établir avec précision, et varient naturellement avec l'intensité de l'effort effectué. Schwarz et al. [19] ont étudié l'évolution de l'IGF-I, de l'IGF-II et de l'IGFBP-3 en distinguant l'exercice modéré de l'exercice intense. L'exercice modéré (56 % VO2max) entraîne une élévation de l'IGF-I au bout de quelques minutes avec un retour à l'état basal après la fin de l'exercice, ainsi qu'une augmentation de l'IGFBP-3, alors que l'IGF-II n'augmente pas de manière statistiquement significative. L'exercice intense (79 % VO2max) entraîne une augmentation de l'IGF-I comparable à celle observée lors de l'exercice modéré, une augmentation de l'IGF-II et une augmentation de l'IGFBP-3 significativement plus marquée que celle observée lors d'un exercice modéré. Enfin, l'exercice intense entraîne une augmentation significative de la lyse du complexe IGF-I/IGFBP-3, augmentant probablement la biodisponibilité de l'IGF-I lors de ce type d'exercice. Selon Wallace et al. [17], les concentrations d'IGF-I totale augmenteraient lors d'un exercice intense (80 % VO2max) pour ensuite retourner aux valeurs basales en une trentaine de minutes à la fin de l'exercice, les concentrations d'IGF-I libre n'augmentant pas de manière significative lors de ce même effort ; ce résultat ne corrobore pas l'hypothèse précédente selon laquelle l'effort intense s'accompagne d'une lyse accrue du complexe IGF-I/IGFBP-3 afin d'augmenter la biodisponibilité de l'IGF-I. Par ailleurs, l'IGFBP-1 demeurerait inchangée pendant l'exercice, mais augmenterait 30 minutes après l'exercice, alors que l'IGFBP-2 ne serait pas influencée par ce même exercice. L'IGFBP-3 augmenterait à la fin de l'exercice pour décliner environ 45 minutes plus tard, l'ALS suivant exactement le même profil. Les ratios IGF-I/IGFBP-3, IGF-I/ALS, IGFBP-3/ALS demeurent inchangés pendant l'exercice.
Indications thérapeutiques de l'hormone de croissance
Les indications thérapeutiques principales de l'hormone de croissance sont chez l'enfant : le retard de croissance lié à un déficit somatotrope, la petite taille dans le cadre d'un syndrome de Turner, le retard de croissance de l'enfant prépubère dû à une insuffisance rénale chronique, ainsi que les très petites tailles consécutives à un retard de croissance à début intra-utérin avec une taille inférieure à trois dérivations standards. Chez l'adulte, l'indication principale demeure le déficit en hormone de croissance. L'administration d'hormone de croissance dans les états de cachexie liés au sida (aids-wasting-syndrome) fait actuellement l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur le marché. L'administration d'hormone de croissance pourrait également être indiquée en cas de lipodystrophie due à l'indinavir, d'insuffisance cardiaque congestive ou de myocardiopathie. Jusqu'au milieu des années 1980, ce traitement reposait sur l'administration d'hGH extraite d'hypophyses de cadavres. Lorsqu'en 1985 la relation fut faite entre ces traitements et les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, l'hGH fut retirée du marché. Actuellement, le produit utilisé est une hormone humaine recombinante ou r-hGH, produite par génie génétique, soit à partir de souches d'Escherichia coli, soit à partir de cultures de cellules de souris transformées. La séquence des acides aminés de cette hormone est strictement identique à la séquence de la forme 22 kDa-hGH. Cette hormone est commercialisée en France par Novo Nordisk pharmaceutique sous l'appellation Norditropine ® , par Lilly France sous l'appellation Umatrope ® ou par Pharmacia-Upjohn sous l'appellation Genotonorm ® . Il s'agit de médicaments d'exception dont la prescription initiale est strictement réservée aux médecins spécialistes en endocrinologie et maladies métaboliques ou en pédiatrie. La dose usuelle en pédiatrie varie en fonction des indications entre 0,5 et 1,2 UI/kg par semaine, répartie en six ou sept injections à effectuer par voie sous-cutanée. Chez l'adulte, ces doses sont plus faibles, de l'ordre de 0,4 à 0,6 UI/kg en 3 à 6 injections par semaine.
Hormone de croissance et dopage
L'hormone de croissance appartient à la classe E (hormones peptidiques, substances mimétiques et analogues) des substances interdites du code antidopage du mouvement olympique et par le ministère de la Jeunesse et des Sports français [20, 21].
L'utilisation de l'hormone de croissance comme produit dopant a pris un essor considérable lors de l'apparition sur le marché de l'hormone humaine recombinante dans les années 1990. Les motifs évoqués par les athlètes pour expliquer ce gain de popularité sont son efficacité, son excellente tolérance immédiate et son absence d'effets secondaires majeurs. La réalité est tout autre, ainsi que nous le détaillerons ultérieurement. Par ailleurs, le fait qu'elle ne soit pas détectable dans le cadre des contrôles antidopage représente un argument décisif dans la stratégie de dopage des sportifs [18]. Enfin, elle est d'un emploi aisé, le plus souvent sous forme de stylos prêts pour l'auto-injection. En revanche, son prix extrêmement élevé et sa prescription très sévèrement contrôlée en France rendent son accès difficile, et l'on assiste au développement d'un véritable marché clandestin où le risque est grand d'acquérir des produits de qualité douteuse, voire même d'origine animale, avec les risques infectieux que cela comporte.
L'hormone de croissance est essentiellement recherchée pour ses effets anabolisants et lipolytiques. La motivation première des sportifs est d'accroître leur masse et leur puissance musculaire, et de réduire leur masse graisseuse. L'hormone de croissance permettrait également d'augmenter la résistance des tendons à l'effort. Enfin, et ceci est un argument décisionnel important dans la stratégie de dopage de certaines équipes sportives, l'administration d'hormone de croissance après la compétition permettrait de diminuer le temps de récupération en réduisant le catabolisme protidique [18, 22].
L'hormone de croissance est massivement employée dans tous les sports où la performance est significativement corrélée à la masse musculaire [18]. Il semblerait toutefois que ces effets comportent une grande part de subjectivité. En effet, les rares études scientifiques menées à ce sujet n'ont pas réellement démontré le bénéfice de l'administration de larges doses d'hormone de croissance sur la performance [23], alors que les effets secondaires sont importants. Il s'agit essentiellement de perturbations métaboliques (troubles de la glycorégulation, élévation des acides gras libres, rétention hydrosodée), d'un syndrome dysmorphique (dysmorphie acrofaciale, mégasplanchnie), d'une accélération d'éventuels cancers du sein et du côlon, de lipodystrophies aux points d'injection, sans omettre naturellement les éventuelles pathologies secondaires à l'origine de l'hormone, au premier rang desquelles se situe la maladie de Creutzfeldt-Jakob [24, 25].
Modalités de consommation
Les sportifs s'administrent l'hormone de croissance par voie sous-cutanée. Les protocoles sont variables et difficiles à connaître avec précision, les sources dont nous disposons étant essentiellement des témoignages anonymes de sportifs dopés. L'hormone de croissance peut être utilisée seule, les doses évoquées étant de l'ordre de 10 à 25 UI/j, 3 ou 4 jours par semaine en cures de 6 à 12 semaines, ou en association avec d'autres produits dopants, en particulier les stéroïdes anabolisants, l'insuline ou encore l'IGF-I. Les doses seraient alors légèrement inférieures, de l'ordre de 3 à 4 UI/j, mais demeurent dans tous les cas très supérieures aux doses utilisées en thérapeutique [18]. L'association de l'hormone de croissance à d'autres produits dopants, en particulier aux stéroïdes anabolisants, permet d'augmenter - théoriquement - l'efficacité du protocole utilisé, en particulier sur la masse musculaire, en diminuant les doses respectives de chaque produit et donc leurs effets secondaires. L'association à l'IGF-I, également produite par génie génétique, ne facilite pas la compréhension du problème.
Le coût extrêmement élevé de l'hormone de croissance sur le marché clandestin a conduit certains athlètes à stimuler leur production endogène de GH en consommant des compléments alimentaires à base d'acides aminés tels que l'arginine, l'ornithine, la lysine ou le tryptophane. L'efficacité de cette méthode n'est pas encore prouvée [18]. Enfin, l'apparition sur le marché des sécrétagogues risque de compliquer encore le problème du dopage.
Effets de l'administration de r-hGH sur l'axe somatotrope
L'appréciation des effets sur l'axe somatotrope de l'administration de r-hGH chez le sportif dopé est extrêmement difficile. Wallace et al. [17] ont comparé la réponse de l'axe somatotrope au repos, pendant, et après un exercice intense (80 % VO2max) chez des sujets traités par 0,15 UI/kg/j de r-hGH pendant 7 jours, à la réponse au même exercice de sujets sains vierges de toute administration de r-hGH. Selon ces auteurs, l'administration de r-hGH entraîne une élévation des concentrations sanguines d'hGH au repos et une diminution significative de la sécrétion d'hGH à l'exercice intense. Par ailleurs, les concentrations sériques d'IGF-I totale augmentent de manière significative avant, pendant et après l'effort. Les concentrations d'IGF-I libres présentent également une augmentation durant ces trois périodes. L'administration de r-hGH augmenterait le taux basal d'IGF-I ainsi que le pic à l'exercice, et provoquerait une diminution du taux basal d'IGFBP-1, sans toutefois supprimer le pic après l'exercice. L'administration de r-hGH provoque une augmentation significative du taux basal et à l'exercice d'IGFBP-3 et d'ALS. En revanche, fait très intéressant, le ratio IGF-I/IGFBP-3 augmente aussi bien au repos qu'à l'effort, le ratio IGF-I/ALS également, alors que le ratio IGFBP-3/ALS reste constant.
Mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance
La mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance représente un véritable challenge pour les toxicologues analystes. Les dosages sanguins et urinaires actuellement utilisés pour le diagnostic des déficits en hormone de croissance ne sont pas applicables au dépistage d'une conduite dopante. De nouvelles voies de recherche sont en cours de développement. Nous allons à présent envisager ces différents aspects.
Les dosages plasmatiques sont généralement effectués par des techniques immunologiques, les premières utilisées étaient des techniques RIA, supplantées ensuite par les techniques Elisa. Les résultats obtenus avec ces tests sont très hétérogènes ; les raisons sont multiples : nature du standard utilisé pour la calibration, effet de matrice, nature et spécificité de l'anticorps. En effet, compte tenu du fait que la GH circule sous différentes isoformes, le nombre de molécules de GH détectées dépendra naturellement de l'épitope utilisé [5]. Récemment ont été proposées des techniques d'électrophorèse capillaire couplée à la spectrométrie de masse ou des techniques d'ionisation par électrospray (ESI) couplée à la masse. Ces technologies n'ont cependant à l'heure actuelle été testées qu'avec des échantillons d'hormone pure, et non avec des échantillons sériques, avec lesquels les interférences avec d'autres protéines risquent d'être très larges. Par ailleurs, ces méthodes requièrent des échantillons de grande taille et sont excessivement onéreuses [26].
Aujourd'hui, la détection d'un abus d'hormone de croissance demeure impossible à prouver de manière directe et formelle dans le sérum pour plusieurs raisons [24, 26] :
du fait de la sécrétion pulsatile de l'hGH, une concentration élevée obtenue sur un prélèvement ponctuel peut très bien refléter un pic de sécrétion spontané ;
l'exercice physique étant lui-même un puissant stimulus de la sécrétion d'hGH, un pic de sécrétion après l'effort ne peut être formellement imputé à un apport exogène de r-hGH ;
l'existence de variations inter-individuelles importantes ;
la séquence des amino-acides de l'hormone recombinante étant strictement identique à la forme majoritaire circulante (forme 22 kDa), les tests immunologiques actuellement disponibles pour ces dosages ne permettent pas de différencier les deux formes.
L'excrétion urinaire (u-hGH) se fait sous forme inchangée. On retrouve donc dans les urines un mélange des différentes isoformes d'hGH. La quantité d'u-hGH pré
sente une corrélation positive avec la quantité d'hGH circulante. Cette excrétion urinaire est cependant très faible, puisque seule une fraction de l'ordre de 0,001 à 0,01 % de l'hGH circulante est éliminée dans les urines, du fait d'une réabsorption tubulaire proximale importante. Cela implique que le seuil de détection de ces méthodes soit impérativement très bas, de l'ordre de 1 ng/L [27]. Par ailleurs, l'effort physique intense, indépendamment de tout dopage, augmente considérablement l'excrétion rénale d'hGH. Cette augmentation est d'ailleurs fortement variable d'un type d'effort à l'autre [28]. Le dosage urinaire est classiquement effectué par des techniques Elisa. Du fait de ces multiples raisons, le dépistage urinaire n'est donc pas applicable sous sa forme actuelle dans le cadre de la lutte antidopage.
Ces difficultés ont amené les analystes à envisager d'autres approches, indirectes, pour mettre en évidence la consommation de r-hGH dans le cadre de la lutte antidopage. La première approche repose sur le dosage des différentes isoformes de l'hormone de croissance. Wu et al. [29] ont développé deux tests immunologiques utilisant des anticorps monoclonaux dirigés l'un contre la forme 22 kDa, avec une préférence pour la forme recombinante, et l'autre contre toutes les isoformes de l'hormone de croissance (GH totale). La prise de r-hGH entraînerait une augmentation du ratio [22 kDa/GH totale] dans le sérum. Une autre piste semble également prometteuse : Momomura et al. [6] ont utilisé deux tests Elisa, l'un monoclonal dirigé contre la forme 20 kDa, et l'autre polyclonal dirigé contre la forme 22 kDa [30]. L'administration de r-hGH entraîne naturellement une diminution du ratio [20 kDa/22 kDa total] dans une tranche horaire de 2 à 10 heures après l'administration de r-hGH. Le ratio [20 kDa/22 kDa endogène] étant constant chez un même individu, il devient alors possible de déterminer l'existence d'un apport éventuel de r-hGH, et d'en évaluer le cas échéant la quantité. L'excellente sensibilité des tests développés pourrait rendre cette technique applicable aux urines. Une étude récente de Wallace et al. [31] démontre que l'administration de doses supraphysiologiques de r-hGH chez des sportifs entraînés provoque une abolition de la sécrétion des isoformes 20 kDa et plus généralement des isoformes non-22 kDa par un rétrocontrôle négatif de l'IGF-I sur l'antéhypophyse. Ces résultats récents viennent confirmer l'intérêt de ces tests immunologiques indirects.
La seconde approche indirecte repose sur l'étude des modifications induites par l'administration de r-hGH sur l'IGF-1 et les IGFBP, ainsi que sur les marqueurs du remodelage osseux.
L'administration de r-hGH à des doses supraphysiologiques chez un adulte sain entraîne une augmentation de la sécrétion d'IGF-1, d'IGFBP-3, d'ALS ainsi qu'une diminution significative de la sécrétion d'IGFBP-2. Il faut toutefois préciser que ces résultats présentent des variations interindividuelles majeures [32], et que cette réponse de l'axe somatotrope est significativement plus marquée chez l'homme que chez la femme, en particulier en ce qui concerne l'ALS et l'IGFBP-3 [33]. Wallace et al. [17] ont ainsi proposé d'utiliser les trois composants du complexe ternaire, l'IGF-I, l'IGFBP-3 et l'ALS comme marqueurs d'une administration de r-hGH (tableau I). En effet, ces trois paramètres sont régulés par l'hGH, et les conditions physiologiques ou pathologiques dans lesquelles ces trois molécules sont augmentées sont bien connues : il s'agit de la puberté, des grossesses tardives et de l'acromégalie. Enfin, les concentrations de ces trois molécules sont relativement constantes au cours du nycthémère et ne sont que peu modifiées par l'effort intense chez le sujet non dopé. Kicman et al. [32] ont également proposé d'utiliser l'IGF-I, l'IGFBP-2 et l'IGFBP-3 (tableau I). La grande variabilité interindividuelle demeure cependant un problème sérieux [29, 32]. Des tests immunologiques sont actuellement disponibles pour le dosage de l'IGF-I et de l'IGFBP-3 [32]. Récemment, Strasburger et al. [34] ont mis au point un anticorps monoclonal pour le dosage de l'ALS.
Il semblerait enfin que les modifications des marqueurs du remodelage osseux induites par l'administration de r-hGH puissent servir d'indicateurs. En effet, le remodelage osseux étant sous la dépendance de l'hGH et de l'IGF-1, l'hypothèse que les marqueurs du remodelage osseux peuvent être affectés par l'administration de r-hGH a été évoquée. Longobardi et al. [35] ont ainsi testé les variations de l'ostéocalcine, du peptide C-terminal du procollagène de type I, du télopeptide C-terminal du collagène de type I, et du peptide N-terminal du procollagène de type III lors d'administration de r-hGH à faible dose (0,1 UI/kg/j) et à forte dose (0,2 UI/kg/j) chez une population d'hommes et de femmes. Les résultats montrent que
les deux doses testées augmentent significativement ces marqueurs, particulièrement l'ostéocalcine et le procollagène de type III dont l'augmentation persiste plus de 80 jours après l'arrêt de l'administration. Ces marqueurs sont, à l'état basal, stables au cours du temps chez un même individu et ne présentent que des variations liées à l'âge (corrélation négative) et au sexe (plus élevés chez l'homme). Cela signifie qu'une augmentation importante de ces marqueurs pourrait constituer un bon indicateur de dopage. L'incertitude réside dans le fait que cette étude a été réalisée chez des volontaires sains et que le profil de ces marqueurs chez des sportifs de haut niveau n'est pas encore établi.
CONCLUSION
Le dopage par l'hormone de croissance demeurera un problème crucial pour les instances chargées de la lutte antidopage tant que des méthodes de dépistage sensibles et spécifiques n'auront pas été dûment validées. Des progrès significatifs ont toutefois été accomplis, avec en particulier le dosage des différentes isoformes de l'hormone. Enfin, il n'est pas possible de conclure cet article sans soulever une nouvelle fois le problème du prélèvement sanguin. Le sang semble en effet, d'après les différentes études en cours, être le milieu de dépistage le plus approprié pour la mise en évidence d'un abus d'hormone de croissance dans le cadre de la lutte antidopage. Or, si la loi du 23 mars 1999 autorise en France la réalisation d'un prélèvement sanguin lors des opérations de contrôle [36], il n'en n'est pas de même pour le code antidopage du comité international olympique [20].
Nous remercions le professeur Pierre Marquet pour sa relecture attentive et ses conseils avisés.
Article reçu le 29 juillet 2002, accepté le 4 octobre 2002
REFERENCES
1 Baumann G. Growth hormone heterogeneity: genes, isohormones, variants and binding proteins. Endocrinol Rev 1991 ; 12 : 424-49.
2 Sassolas G. Hormone somatotrope. Encycl Med Chir, Endocrinologie - Nutrition 1993 ; 10-017-K-10.
3 Fisker S, ¯rskov H. Factors modifying growth hormone estimates in immunoassays. Horm Res 1996 ; 46 : 183-7.
4 Maak T, Johnson V, Kau ST, Figueiredo J, Sigulem D. Renal filtration, transport, and metabolism of low-molecular-weight proteins: a review. Kidney Int 1979 ; 16 : 251-70.
5 Strasburger CJ. Laboratory assessment of GH. Growth Horm IGF Res 1998 ; 8 : 41-6.
6 Momomura S, Hashimoto Y, Shimazaki Y, Irie M. Detection of exogenous growth hormone (GH) administration by monitoring ratio of 20 kDaa- and 22 kDaa-GH in serum and urine. Endocrine J 2000 ; 47 : 97-101.
7 Casanueva FP, Dieguez C. Growth hormone secretagogues: physiological role and clinical utility. Trends Endocrinol Metab 1999 ; 10 : 30-8.
8 Copinschi G, Van Onderbergen A, L'Hermitte-Baleriaux M, et al. Effects of a 7-day treatment with a novel orally active, growth hormone (GH) secretagogue, MK-677, on 24-hour GH profiles, insulin-like growth factor I, and adrenocortical function in normal young men. J Clin Endocrinol Metab 1996 ; 81 : 2776-82.
9 Kojima M, Hosoda H, Date Y, Nakazato M, Matsuo H, Kangawa K. Ghrelin is a growth-hormone-releasing acylated peptide from stomach. Nature 1999 ; 402 : 656-60.
10 Rosenfeld RG, Lamson G, Pham H, et al. Insulin-like growth factor binding proteins. Recent Prog Horm Res 1990 ; 46 : 99-163.
11 Baxter RC. Circulating levels and molecular distribution of the acid-labile (alpha) subunit of the high molecular weight insulin-like growth factor-binding protein complex in normal subjects. J Clin Endocrinol Metab 1990 ; 70 : 1347-53.
12 Khosravi MJ, Diamandi A, Mistry J, Krishna RG, Khare A. Acid-labil subunit of human insulin-like growth factor-binding protein complex: measurement, molecular, and clinical evaluation. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 3944-51.
13 Cuneo RC, Salomon F, McGauley GA, Sönksen PH. The growth hormone deficiency syndrome in adults. Clin Endocrinol 1992 ; 37 : 387-97.
14 Christ E, Cummings MH, Westwood NB, et al. The importance of growth hormone in the regulation of erythropoiesis, red cell-mass, and plasma volume in adults with growth hormone deficiency. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 2985-90.
15 Felsing NE, Brasel JA, Cooper DM. Effect of low and high intensity exercise on circulating growth hormone in men. J Clin Endocrinol Metab 1992 ; 75 : 157-62.
16 Kraemer WJ, Aguilera BA, Terada M, et al. Responses of IGF-I to endogenous increases in growth hormone after heavy-resistance exercise. J Appl Physiol 1995 ; 79 : 1310-5.
17 Wallace JD, Cuneo RC, Baxter R, et al. Responses of the growth hormone (GH) and insuline-like growth factor axis to exercice, GH administration, and GH withdrawal in trained adult males: a potentiel test for GH abuse in sport. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 3591-601.
18 Ehrnborg C, Bengtsson BA, Rosén T. Growth hormone abuse. Bailliere's Clin Endocrinol Metab 2000 ; 14 : 71-7.
19 Schwarz AJ, Brasel JA, Hintz RL, Mohan S, Cooper DM. Acute effect of brief low- and high-intensity exercise on circulating insulin-like growth factor (IGF) I, II and IGF-binding protein-3 and its proteolysis in young healthy men. J Clin Endocrinol Metab 1996 ; 81 : 3492-7.
20 Code antidopage du mouvement olympique. http :/www.olympic.org/
21 Arrêté du 25 avril 2002 relatif aux substances et aux procédés mentionnés à l'article L.3631-1 du code de la santé publique. JORF 25 avril 2002 ; 97 : 7410.
22 Davies JS, Morgan CL, Currie CJ, Green JT. Growth hormone use by body builders. Br J Sports Med 1997 ; 31 : 352-3.
23 Jenkins PJ. Growth hormone and exercise: physiology, use and abuse. Growth Horm IGF Res 2001 ; 11 : S71-7.
24 Jenkins PJ. Growth hormone and exercise. Clin Endocrinol 1999 ; 50 : 683-9.
25 Deyssig R, Frisch H. Self-administration of cadaveric growth hormone in power athletes. Lancet 1993 ; 341 : 768-9.
26 Arcelloni C, Fermo I, Banfi G, Pontiroli AE, Paroni R. Capillary electrophoresis for protein analysis: separation of growth hormone and human insulin molecular forms. Anal Biochem 1993 ; 212 : 160-7.
27 McConway MG, Smith KA, Beastall GH. Development and evaluation of a direct immunofluorimetric assay for urinary growth hormone. Ann Clin Biochem 1999 ; 36 : 649-54.
28 Saugy M, Cardis C, Schweizer C, Veuthey JL, Rivier L. Detection of human growth hormone doping urine: out of competition tests are necessary. J Chromatogr B 1996 ; 687 : 201-11.
29 Wu Z, Bidlingmaier M, Dall R, Strasburger CJ. Detection of doping with human growth hormone. Lancet 1999 ; 353 : 895.
30 Tsushima T, Katoh Y, Miyachi Y, et al. Serum concentration of 20K human growth hormone (20K hGH) measured by a specific enzyme-linked immunosorbent assay. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 317-22.
31 Wallace JD, Cuneo RC, Bidlingmaier M, et al. Changes in non-22-kilodalton (kDa) isoforms of growth hormone (GH) after administration of 22-kDaa recombinant human GH in trained adult males. Clin Endocrinol Metab 2001 ; 86 : 1731-7.
32 Kicman AT, Miell JP, Teale JD, et al. Serum IGF-I and IGF binding proteins 2 and 3 as potential markers of doping with human GH. Clin Endocrinol 1997 ; 47 : 43-50.
33 Dall R, Longobardi S, Ehrnborg C, et al. The effect of four weeks of supraphysiological growth hormone administration on the insulin-like growth factor axis in women and men. J Clin Endocrinol Metab 2000 ; 85 : 4193-200.
34 Stadler S, Wu Z, Dressendorfer RA, et al. Monoclonal anti-acid-labile subunit oligopeptide antibodies and their use in a two-site immunoassay for ALS measurement in humans. J Immunol Methods 2001 ; 252 : 73-82.
35 Longobardi S, Keay N, Ehrnborg C, et al. Growth hormone (GH) effects on bone and collagen turnover inhealthy adults and its potential as a marker of GH abuse in sports: a double blind, placebo-controlled study. J Clin Endocrinol Metab 2000 ; 85 : 1505-12.
36 Loi no 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage modifiée par le décret no 2001-35 du 11 janvier 2001 relatif aux examens et prélèvements autorisés pour la lutte contre le dopage. JORF 13 janvier 2001 ; 11 : 658.