Bonjour,
je met en partage un article du monde sur l’électro stimulation. Vous n'y apprendrez pas comment on s'en sert ou quoi, mais cet article met assez bien en lumière la manière dont l’électro stimulation a été utilisé par les États pour "briller" à l'internationale. Enfin, l'article fait un point sur l'histoire de l'électrostim à partir du XIX emé pour ceux que ça intéresse.
Bonne lecture,
L’électrostimulateur, la machine infernale d’Usain Bolt

Usain Bolt s’entraîne bardé d’électrodes
La vidéo d’Usain Bolt, s’entraînant le corps bardé de fils électriques est devenue virale sur les réseaux sociaux, avec près de 26 000 ‘j’aime’, 3000 partages et 1000 commentaires sur sa page officielle Facebook. Une innovation en matière d’entraînement ? Pas vraiment. Avec Christine Arron, nous avons fait le test du Mihabodytec. Mais avant de présenter les vidéos dans le prochain post, Thomas Ott, le préparateur physique du Jamaïcain, explique le fonctionnement de cet appareil d’électrostimulation. L’occasion de faire un éclairage sur l’histoire méconnue d’une pratique très ancienne ressuscitée dans les années 80, avec des documents rares et les témoignages saisissant de deux sprinteuses de l’époque.
À la croisée de la physique, de la médecine et du sport, l’électro(myo)stimulation (EMS) a été longtemps fantasmée comme une miraculeuse recette soviétique à la sauce Frankenstein. Largement répandue dans les infirmeries pour les soins et la récupération des sportifs, l’EMS est encore controversée dans son application à l’entrainement musculaire, après avoir été injustement mise à l’index des ouvrages sur le dopage. « Alors que dans l’entraînement traditionnel, les muscles sont contrôlés par des impulsions électriques venant du cerveau qui provoquent une contraction et ainsi un mouvement, dans l’EMS, les muscles reçoivent une simulation externe à partir des électrodes », indique la plaquette d’information de Mihabodytec. Le dispositif, breveté en 2009, comprend une veste, une ceinture et des bandeaux munis de larges électrodes en contact avec les principaux groupes musculaires, le tout relié par des fils à un moniteur qui permet de programmer et de régler l’intensité du courant sur les différentes parties du corps. Thomas Ott est l’un des premiers utilisateurs, alors qu’il effectue des recherches sur les douleurs dorsales au Centre d’orthopédie et de médecine du sport du fameux Dr Müller-Wohlfahrt à Munich. Usain Bolt, fidèle patient, est tout de suite intéressé. « J’ai commencé à travailler avec Usain à Berlin (pour les championnats du monde) de toutes les manières possibles et imaginables », explique Ott. « Gainage, endurance, force maximale, plyométrie ou mouvements explosif, selon son programme d’entrainement et la période de la saison. »
Le courant qui tue ou guérit
Avant d’être une méthode de musculation particulièrement prisée par La Foudre jamaïcaine, la stimulation électrique a été employée dans le champ médical depuis la nuit des temps. Sans remonter jusqu’à l’Egypte ancienne ou la Rome antique et l’usage des poissons électriques pour soigner les malades, démarrons notre flash-back au numéro 16, place Vendôme à Paris. C’est dans l’établissement du Dr Le Ber qu’Alexandre-Edouard Le Molt traite les paralysies, affectations rhumatismales et nerveuses avec ses machines hi-tech. La presse, conviée à une démonstration, est frappée par « le magnifique local » et « la perfection, l’élégance et la beauté des instruments qu’il y renferme ». Il obtient des résultats inespérés et une reconnaissance publique qui inspire même les chansonniers, comme l’improvisateur Eugène de Pradel, auteur de ce stand-up :
« Feu terrible qui gronde et dévore en passant,
Et qu’un pouvoir mortel rendit obéissant ;
Il tuait, il guérit : l’étincelle électrique
En mille jets brisée à nos douleurs s’applique,
Elle ébranle des nerfs la funeste langueur,
Rend au sang paresseux sa mobile rigueur,
Dans ses muscles souffrans rappelle le bien-être.
Ô que d’infortuné se sont sentis renaître
Quand Le Molt promenait, sur un membre dolent
De son art généreux le sceptre étincelant ! »
L’invention de la brosse électrique qui, par frictions, agit sur tout le système nerveux, musculaire et sanguin est brevetée en 1832 et vaut à Le Molt les médailles des Académies de Médecine et de l’Industrie. Bien avant les pubs télé, les études des sciences du sport ou les méthodes secrètes des soviétiques. « Jusqu’ici, le fluide électrique n’avait été transmis aux malades que par bain, commotion ou étincelles », écrit Le Molt dans sa lettre pour l’obtention du brevet. Avec la brosse, finies les « sensations vives, styptiques, douloureuses » qui « inquiétaient souvent le malade ». On ne peut qu’imaginer les tâtonnement et les accident qui ont dû entourer ces premières manipulations…
L’Histoire ne retiendra pourtant que le nom de Duchenne de Boulogne, auteur d’un imposant ouvrage en 1855, De l’électrisation localisée et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique. Quelques années avant d’utiliser l’électricité pour ses impressionnantes photographies scientifico-artistiques , le médecin français détaille ses expériences avec l’électricité dynamique. Il distingue le courant de contact, dit galvanique, du courant d’induction, dit faradique. Pour simplifier, la notice des appareils qui ont repris ces noms lors du siècle suivant indiquent que le premier courant agit sur la circulation sanguine et la récupération et le deuxième sur les muscles et le renforcement. Ils seront ainsi vendus sur le marché des cosmétiques du bien-être, du fitness et des sex-toys. La littérature spécialisée dans les sciences du sport date la découverte de l’application de l’EMS à l’entraînement des muscles aux années 1960, pourtant, dès 1848, Duchenne observe des augmentations de masse musculaire sur les bras de divers patients, par des séances de faradisation localisée pendant 10 minutes, trois à quatre fois par semaine pendant trois semaines, dans certains cas associées à des massages, des bains sulfurisés, à diverses méthodes de gymnastique (localisée, nerveuse ou suédoise) et des prothèses musculaires en caoutchouc destinées à « rétablir ou faciliter les mouvements naturels »…

Les muscles artificiels de Duchenne (1855)
Ces anecdotes rappellent combien les innovations et leurs coups de pubs d’aujourd’hui ne sont en fait que des redécouvertes de pratiques oubliées. On imagine bien l’intérêt que les techniques médicales de Duchenne auraient rencontré chez les sportifs et leurs entraîneurs… si des compétitions sportives de la même ampleur qu’aujourd’hui s’étaient tenues durant le Second Empire ! Depuis Socrate, la médecine et la gymnastique forment « un seul tout » dans « la véritable culture du corps » (Gorgias de Platon). Il fallait donc que s’opère un jour le détournement de l’électrothérapie, comme tant d’autres médications, au profit du sport. Ce n’est pas en France, où la culture physique est peu développée, mais aux États-Unis qu’il adviendra.
Comme le chantait de Pradel, l’électricité tue ou bien guérit. À la fin du XIXe siècle, tandis que des inventeurs américains cherchent à construire des chaises électriques pour la peine de mort, d’autres déposent des brevets pour guérir. En 1877, John Hobbs construit une ceinture électro-thérapeutique pour « revigorer le corps humain » et dont le dessin ressemble à celui du Mihabodytec; en 1883, Williams McGinnis invente des haltères et des massues électriques, pour « générer et transmettre un léger courant électrique à travers les muscles, simultanément avec leur exercice ». Suivront de fascinants appareils de musculation donnant au corps des décharges proportionnelles à l’action du sportif ou des vêtements qui inspireront des brevets de la NASA dans les années 1960.

Brevets d’appareils d’électrostimulation musculaire datant de 1877, 1897 et 1902
Kellogg nourrit les muscles
À cette époque, une mouvance hygiéniste influence considérablement les politiques et les pratiques de santé et de sport aux USA. C’est dans ce contexte qu’est construit dans le Michigan le Sanitarium de Battle Creek, le plus grand centre hospitalier du monde, dirigé par John Harvey Kellogg. L’excentrique docteur s’est investi d’une mission : améliorer la constitution de la population par l’alimentation et l’exercice. En 1894, il invente les corn-flakes et réussi à quantifier les progrès en force d’un « jeune homme vigoureux ». Un courant d’une fréquence de 300 hertz et d’une intensité de 20 milliampères déchargé par des électrodes placées le long de la colonne et sur l’abdomen a provoqué un gain de force de 7%, 30 minutes après l’exposition.
Bien que Kellogg fasse des émules dans le pays, la pratique de l’EMS pour la musculation s’évanouit progressivement après la Grande Guerre et ressurgit ailleurs, avec fracas, en pleine Guerre Froide. Contrairement à l’idée reçue – d’après les documents d’époque que j’ai pu consulter – ce n’est pas avant 1966 qu’émerge en URSS, sous l’impulsion de Yakov Kotz, « l’idée d’augmenter la fonctionnalité de l’appareil neuromusculaire de l’athlète » par l’EMS. Le médecin publie en 1971 dans une revue disponible à l’étranger, non sans provocation, des résultats extraordinaires : grâce à 10 décharges de 10 secondes avec un courant sinusoïdal, comme celui du Dr Kellogg, de 2500 hertz généré par le Stimul-2, un appareil développé par l’Institut de recherche scientifique pour les appareils médicaux, il aurait obtenu des gains de force allant jusqu’à 40 % chez des adolescents. Les premières cible sont les épaules des gymnastes, pour les aider à tenir la croix de fer, l’un des éléments de force isométrique aux anneaux.

Un appareil Stimul-2 similaire à celui utilisé pour l’expérience de Kotz (1971)
Immédiatement, c’est le branle-bas de combat, la RFA et les USA tentent l’expérience. Dans la perspective des Jeux de Munich en 1972, un haltérophile belge et un sauteur en hauteur italien s’entraînent dans ce sens. Kots affirmera plus tard que l’URSS avait conclu un accord secret avec la RDA : échanger les détails du protocole d’EMS contre leur protocole de dopage. Les haltérophiles et les lutteurs Est-allemands serviront de cobaye durant l’automne 1971, avant une nouvelle vague de tests dans d’autres sports avant les Jeux de 1976. Le Canada, qui ne parvient pas à reproduire les résultats de Kotz, invite le physiologiste lors d’une série de conférence en 1977 à l’Université Concordia. La meilleure sprinteuses du pays, Angella Taylor, se procure bientôt un électro-stimulateur et applique le protocole de Kotz (lire son témoignage plus loin). Dans les années 80, une rumeur dit que son partenaire d’entraînement Ben Johnson a développé sa puissance surhumaine par ce moyen – en vérité, seule Taylor l’utilisait. En France, l’EMS a mauvaise presse depuis qu’un article paru dans l’Équipe en 1976 l’assimile à du dopage technologique. À l’Est, le papier de Robert Parienté est perçu comme un pamphlet anti-marxiste, tandis qu’à l’Ouest, il sonne comme un signal d’alarme envers l’escalade de la triche, repris dans divers ouvrages (Le Dopage d’André Noret, Dictionnaire du Dopage de Jean-Pierre de Mondenard…). Une idée suffisamment ancrée pour que les sites internet des divers produits doivent encore s’en défendre. Il faut dire que le scandale de dopage de Ben Johnson en 1988 n’a pas aidé à dissiper le malentendu.
Ce n’est qu’à partir de 1986 que dans le pays de Le Molt et de Duchenne, l’EMS fait l’objet de recherches approfondies à la demande de la Fédération Française d’Athlétisme… Mais, ni en France, ni en URSS, ni en RDA, ni en Amérique, l’EMS ne se généralise, pour plusieurs raisons. Bien que les gains en force soient indéniables, ils sont difficilement quantifiables dans la pratique sportive de compétition. La nécessaire individualisation des protocoles ne rentre pas dans le cadre rigide des grilles d’entraînement des pays de l’Est. Et comme l’indique Thomas Ott, le physio de Bolt, il faut de l’intuition : « Depuis 2009, j’ai fait plus de 20 000 entraînements avec le Mihabodytec, la plupart avec des athlètes professionnels, mais je n’utilise pas de réglages standards, je ne peux pas donner de chiffres concernant les fréquences, les intensités et les modulations car je les adapte à chaque séance. » Surtout, la peur et la sensation désagréable des décharges constituent la principale réticence chez les sportifs, tout comme chez les médecins du XIXe siècle. Aujourd’hui, si son application aux soins et à la récupération ne pose aucune difficulté, la promotion de l’EMS en mode musculation par Bolt ne suffira pas à faire tomber ces résistances et des améliorations techniques et esthétiques devront être apportées pour rendre le produit plus attrayant.
Le monde, 2 avrils 2014, Pierre Vazel
je met en partage un article du monde sur l’électro stimulation. Vous n'y apprendrez pas comment on s'en sert ou quoi, mais cet article met assez bien en lumière la manière dont l’électro stimulation a été utilisé par les États pour "briller" à l'internationale. Enfin, l'article fait un point sur l'histoire de l'électrostim à partir du XIX emé pour ceux que ça intéresse.
Bonne lecture,
L’électrostimulateur, la machine infernale d’Usain Bolt

Usain Bolt s’entraîne bardé d’électrodes
La vidéo d’Usain Bolt, s’entraînant le corps bardé de fils électriques est devenue virale sur les réseaux sociaux, avec près de 26 000 ‘j’aime’, 3000 partages et 1000 commentaires sur sa page officielle Facebook. Une innovation en matière d’entraînement ? Pas vraiment. Avec Christine Arron, nous avons fait le test du Mihabodytec. Mais avant de présenter les vidéos dans le prochain post, Thomas Ott, le préparateur physique du Jamaïcain, explique le fonctionnement de cet appareil d’électrostimulation. L’occasion de faire un éclairage sur l’histoire méconnue d’une pratique très ancienne ressuscitée dans les années 80, avec des documents rares et les témoignages saisissant de deux sprinteuses de l’époque.
À la croisée de la physique, de la médecine et du sport, l’électro(myo)stimulation (EMS) a été longtemps fantasmée comme une miraculeuse recette soviétique à la sauce Frankenstein. Largement répandue dans les infirmeries pour les soins et la récupération des sportifs, l’EMS est encore controversée dans son application à l’entrainement musculaire, après avoir été injustement mise à l’index des ouvrages sur le dopage. « Alors que dans l’entraînement traditionnel, les muscles sont contrôlés par des impulsions électriques venant du cerveau qui provoquent une contraction et ainsi un mouvement, dans l’EMS, les muscles reçoivent une simulation externe à partir des électrodes », indique la plaquette d’information de Mihabodytec. Le dispositif, breveté en 2009, comprend une veste, une ceinture et des bandeaux munis de larges électrodes en contact avec les principaux groupes musculaires, le tout relié par des fils à un moniteur qui permet de programmer et de régler l’intensité du courant sur les différentes parties du corps. Thomas Ott est l’un des premiers utilisateurs, alors qu’il effectue des recherches sur les douleurs dorsales au Centre d’orthopédie et de médecine du sport du fameux Dr Müller-Wohlfahrt à Munich. Usain Bolt, fidèle patient, est tout de suite intéressé. « J’ai commencé à travailler avec Usain à Berlin (pour les championnats du monde) de toutes les manières possibles et imaginables », explique Ott. « Gainage, endurance, force maximale, plyométrie ou mouvements explosif, selon son programme d’entrainement et la période de la saison. »
Le courant qui tue ou guérit
Avant d’être une méthode de musculation particulièrement prisée par La Foudre jamaïcaine, la stimulation électrique a été employée dans le champ médical depuis la nuit des temps. Sans remonter jusqu’à l’Egypte ancienne ou la Rome antique et l’usage des poissons électriques pour soigner les malades, démarrons notre flash-back au numéro 16, place Vendôme à Paris. C’est dans l’établissement du Dr Le Ber qu’Alexandre-Edouard Le Molt traite les paralysies, affectations rhumatismales et nerveuses avec ses machines hi-tech. La presse, conviée à une démonstration, est frappée par « le magnifique local » et « la perfection, l’élégance et la beauté des instruments qu’il y renferme ». Il obtient des résultats inespérés et une reconnaissance publique qui inspire même les chansonniers, comme l’improvisateur Eugène de Pradel, auteur de ce stand-up :
« Feu terrible qui gronde et dévore en passant,
Et qu’un pouvoir mortel rendit obéissant ;
Il tuait, il guérit : l’étincelle électrique
En mille jets brisée à nos douleurs s’applique,
Elle ébranle des nerfs la funeste langueur,
Rend au sang paresseux sa mobile rigueur,
Dans ses muscles souffrans rappelle le bien-être.
Ô que d’infortuné se sont sentis renaître
Quand Le Molt promenait, sur un membre dolent
De son art généreux le sceptre étincelant ! »
L’invention de la brosse électrique qui, par frictions, agit sur tout le système nerveux, musculaire et sanguin est brevetée en 1832 et vaut à Le Molt les médailles des Académies de Médecine et de l’Industrie. Bien avant les pubs télé, les études des sciences du sport ou les méthodes secrètes des soviétiques. « Jusqu’ici, le fluide électrique n’avait été transmis aux malades que par bain, commotion ou étincelles », écrit Le Molt dans sa lettre pour l’obtention du brevet. Avec la brosse, finies les « sensations vives, styptiques, douloureuses » qui « inquiétaient souvent le malade ». On ne peut qu’imaginer les tâtonnement et les accident qui ont dû entourer ces premières manipulations…
L’Histoire ne retiendra pourtant que le nom de Duchenne de Boulogne, auteur d’un imposant ouvrage en 1855, De l’électrisation localisée et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique. Quelques années avant d’utiliser l’électricité pour ses impressionnantes photographies scientifico-artistiques , le médecin français détaille ses expériences avec l’électricité dynamique. Il distingue le courant de contact, dit galvanique, du courant d’induction, dit faradique. Pour simplifier, la notice des appareils qui ont repris ces noms lors du siècle suivant indiquent que le premier courant agit sur la circulation sanguine et la récupération et le deuxième sur les muscles et le renforcement. Ils seront ainsi vendus sur le marché des cosmétiques du bien-être, du fitness et des sex-toys. La littérature spécialisée dans les sciences du sport date la découverte de l’application de l’EMS à l’entraînement des muscles aux années 1960, pourtant, dès 1848, Duchenne observe des augmentations de masse musculaire sur les bras de divers patients, par des séances de faradisation localisée pendant 10 minutes, trois à quatre fois par semaine pendant trois semaines, dans certains cas associées à des massages, des bains sulfurisés, à diverses méthodes de gymnastique (localisée, nerveuse ou suédoise) et des prothèses musculaires en caoutchouc destinées à « rétablir ou faciliter les mouvements naturels »…

Les muscles artificiels de Duchenne (1855)
Ces anecdotes rappellent combien les innovations et leurs coups de pubs d’aujourd’hui ne sont en fait que des redécouvertes de pratiques oubliées. On imagine bien l’intérêt que les techniques médicales de Duchenne auraient rencontré chez les sportifs et leurs entraîneurs… si des compétitions sportives de la même ampleur qu’aujourd’hui s’étaient tenues durant le Second Empire ! Depuis Socrate, la médecine et la gymnastique forment « un seul tout » dans « la véritable culture du corps » (Gorgias de Platon). Il fallait donc que s’opère un jour le détournement de l’électrothérapie, comme tant d’autres médications, au profit du sport. Ce n’est pas en France, où la culture physique est peu développée, mais aux États-Unis qu’il adviendra.
Comme le chantait de Pradel, l’électricité tue ou bien guérit. À la fin du XIXe siècle, tandis que des inventeurs américains cherchent à construire des chaises électriques pour la peine de mort, d’autres déposent des brevets pour guérir. En 1877, John Hobbs construit une ceinture électro-thérapeutique pour « revigorer le corps humain » et dont le dessin ressemble à celui du Mihabodytec; en 1883, Williams McGinnis invente des haltères et des massues électriques, pour « générer et transmettre un léger courant électrique à travers les muscles, simultanément avec leur exercice ». Suivront de fascinants appareils de musculation donnant au corps des décharges proportionnelles à l’action du sportif ou des vêtements qui inspireront des brevets de la NASA dans les années 1960.

Brevets d’appareils d’électrostimulation musculaire datant de 1877, 1897 et 1902
Kellogg nourrit les muscles
À cette époque, une mouvance hygiéniste influence considérablement les politiques et les pratiques de santé et de sport aux USA. C’est dans ce contexte qu’est construit dans le Michigan le Sanitarium de Battle Creek, le plus grand centre hospitalier du monde, dirigé par John Harvey Kellogg. L’excentrique docteur s’est investi d’une mission : améliorer la constitution de la population par l’alimentation et l’exercice. En 1894, il invente les corn-flakes et réussi à quantifier les progrès en force d’un « jeune homme vigoureux ». Un courant d’une fréquence de 300 hertz et d’une intensité de 20 milliampères déchargé par des électrodes placées le long de la colonne et sur l’abdomen a provoqué un gain de force de 7%, 30 minutes après l’exposition.
Bien que Kellogg fasse des émules dans le pays, la pratique de l’EMS pour la musculation s’évanouit progressivement après la Grande Guerre et ressurgit ailleurs, avec fracas, en pleine Guerre Froide. Contrairement à l’idée reçue – d’après les documents d’époque que j’ai pu consulter – ce n’est pas avant 1966 qu’émerge en URSS, sous l’impulsion de Yakov Kotz, « l’idée d’augmenter la fonctionnalité de l’appareil neuromusculaire de l’athlète » par l’EMS. Le médecin publie en 1971 dans une revue disponible à l’étranger, non sans provocation, des résultats extraordinaires : grâce à 10 décharges de 10 secondes avec un courant sinusoïdal, comme celui du Dr Kellogg, de 2500 hertz généré par le Stimul-2, un appareil développé par l’Institut de recherche scientifique pour les appareils médicaux, il aurait obtenu des gains de force allant jusqu’à 40 % chez des adolescents. Les premières cible sont les épaules des gymnastes, pour les aider à tenir la croix de fer, l’un des éléments de force isométrique aux anneaux.

Un appareil Stimul-2 similaire à celui utilisé pour l’expérience de Kotz (1971)
Immédiatement, c’est le branle-bas de combat, la RFA et les USA tentent l’expérience. Dans la perspective des Jeux de Munich en 1972, un haltérophile belge et un sauteur en hauteur italien s’entraînent dans ce sens. Kots affirmera plus tard que l’URSS avait conclu un accord secret avec la RDA : échanger les détails du protocole d’EMS contre leur protocole de dopage. Les haltérophiles et les lutteurs Est-allemands serviront de cobaye durant l’automne 1971, avant une nouvelle vague de tests dans d’autres sports avant les Jeux de 1976. Le Canada, qui ne parvient pas à reproduire les résultats de Kotz, invite le physiologiste lors d’une série de conférence en 1977 à l’Université Concordia. La meilleure sprinteuses du pays, Angella Taylor, se procure bientôt un électro-stimulateur et applique le protocole de Kotz (lire son témoignage plus loin). Dans les années 80, une rumeur dit que son partenaire d’entraînement Ben Johnson a développé sa puissance surhumaine par ce moyen – en vérité, seule Taylor l’utilisait. En France, l’EMS a mauvaise presse depuis qu’un article paru dans l’Équipe en 1976 l’assimile à du dopage technologique. À l’Est, le papier de Robert Parienté est perçu comme un pamphlet anti-marxiste, tandis qu’à l’Ouest, il sonne comme un signal d’alarme envers l’escalade de la triche, repris dans divers ouvrages (Le Dopage d’André Noret, Dictionnaire du Dopage de Jean-Pierre de Mondenard…). Une idée suffisamment ancrée pour que les sites internet des divers produits doivent encore s’en défendre. Il faut dire que le scandale de dopage de Ben Johnson en 1988 n’a pas aidé à dissiper le malentendu.
Ce n’est qu’à partir de 1986 que dans le pays de Le Molt et de Duchenne, l’EMS fait l’objet de recherches approfondies à la demande de la Fédération Française d’Athlétisme… Mais, ni en France, ni en URSS, ni en RDA, ni en Amérique, l’EMS ne se généralise, pour plusieurs raisons. Bien que les gains en force soient indéniables, ils sont difficilement quantifiables dans la pratique sportive de compétition. La nécessaire individualisation des protocoles ne rentre pas dans le cadre rigide des grilles d’entraînement des pays de l’Est. Et comme l’indique Thomas Ott, le physio de Bolt, il faut de l’intuition : « Depuis 2009, j’ai fait plus de 20 000 entraînements avec le Mihabodytec, la plupart avec des athlètes professionnels, mais je n’utilise pas de réglages standards, je ne peux pas donner de chiffres concernant les fréquences, les intensités et les modulations car je les adapte à chaque séance. » Surtout, la peur et la sensation désagréable des décharges constituent la principale réticence chez les sportifs, tout comme chez les médecins du XIXe siècle. Aujourd’hui, si son application aux soins et à la récupération ne pose aucune difficulté, la promotion de l’EMS en mode musculation par Bolt ne suffira pas à faire tomber ces résistances et des améliorations techniques et esthétiques devront être apportées pour rendre le produit plus attrayant.
Le monde, 2 avrils 2014, Pierre Vazel