SOURCE :
Frederick J. Henderson
NSCA Certified Strength and Conditioning Specialist.
Master en Sciences du Sport - Spécialiste Force & Vitesse.
http://www.hendersoninfo.net/blog/pourquoi-on-recupere-plus-vite-quon-a-gagne
On retourne plus tard sous les barres, et ... Bim! En un clin d’œil, tout revient. C'est comme le vélo, on oublie pas. Un peu comme si le muscle se rappelait, avait une mémoire. Il vous faut moitié moins de temps et d'efforts pour récupérer votre physique.
Beaucoup ayant eu une expérience d’entraînement par le passé peuvent améliorer rapidement leur force grace au ré-entraînement [1,2]. Ce phénomène est généralement appelé « mémoire musculaire ». Bien qu'il n'y ait pas de mécanisme de mémoire à proprement parlé dans la cellule musculaire, il n'en reste pas moins qu'une partie des gains perdure plus ou moins. L'explication habituelle est attribuée à l'apprentissage moteur du système nerveux [3]. C'est possible, mais c'est loin de tout expliquer.
Un premier modèle
Un muscle ayant grossi, peut rester hypertrophié jusqu'à plusieurs mois après l'arrêt de l’entraînement [1,4-8]. Chez les personnes âgées ayant effectué un entraînement en force, le niveau de force reste de 9 à 14 % plus élevé qu'à l'origine même après 2 ans de dés-entraînement [7].
Après 20 semaines d'entrainement, un groupe de femme a perdu un niveau considérable de force pendant la période de dés-entraînement qui a suivi. En 6 semaines d'entraînement, la force perdue avait été récupérée [1].
On voit bien, ici, qu'il doit exister un mécanisme de mémoire localisé au niveau du muscle. Avant de voir quel peut être ce mécanisme, on va d'abord s'intéresser à une particularité de la cellule musculaire.
Depuis plus de 100 ans, on pense que le noyau d'une cellule ne peut supporter qu'un certain volume de cytoplasme [9-19]. Si un champ peut nourrir un village de 200 personnes, le village ne grandira pas au-delà de 200 personnes. Sinon, problème.
Normalement, on a une cellule et son noyau, c'est la représentation classique. C'est vrai pour la plupart des cellules. Une cellule, un noyau, on appelle ça une cellule mono-nucléée. Évidemment, il existe toujours des exceptions.
Une cellule musculaire est plus grosse qu'une cellule mono-nucléée, de l'ordre de 500 % plus grosse. Elle possède, en plus de sa plus grosse taille, de nombreux noyaux. C'est une des rares cellules poly-nucléées chez les vertébrés [18]. Et donc, avec notre histoire de limite de taille par noyau, la concentration de noyaux est constante : quelle que soit la taille de la fibre, vous trouverez toujours « X » noyaux par millimètre de fibre.
Votre village a X champs, il peut héberger X fois 200 personnes. Votre village est plus gros qu'un village qui n'a qu'un champ.
Quand une fibre musculaire grossit, on pense que des noyaux sont créés par mitose (mécanisme de clonage naturel, pour reproduire l'ADN). Ensuite les nouveaux noyaux fusionnent avec la fibre musculaire qui grossit.
À l'inverse, on pense que l'excès de noyaux est jeté à la poubelle par apoptose sélective (mort programmée) lorsque le muscle « dégonfle » [20,21]. Avec cette théorie, on peut maintenir une concentration de noyaux constante.
La remise en cause
Seulement, voilà : l'imagerie médicale continuant de progresser, on peut plutôt bien compter combien de noyaux sont présents dans une fibre musculaire.
Jusqu'à récemment, c'était trop petit pour pouvoir compter exactement. La seule solution était le microscope pour voir les petits noyaux cellulaires mais comme à ce moment-là une fibre musculaire n'entre pas en entier dans le viseur, on compte souvent 2 fois le même noyau. Un peu comme faire un panoramique avec un appareil photo jetable.Et donc, on a vu que, chez la souris, lorsqu'une fibre musculaire rétrécit, le nombre de noyaux ne diminue pas [22].
Notre beau petit modèle pas trop compliqué vient de couler. Bien sûr, vous allez me dire : « Oui, Fred. Cependant, tout le monde sait très bien que les noyaux dans un tissue musculaire ayant subis une mitose pendant l'hypertrophie musculaire sont particulièrement susceptibles à l'apoptose si on cesse d'utiliser ses muscles [23] » (oui, vous terminez votre phrase par « crochet-23-crochet »).
Et là je contre votre étude par ma superbe étude qui m'aide à rédiger cet article : les nouveaux noyaux recrutés par surcharge sont conservés jusqu'à 3 mois après dénervation (on coupe le nerf, on ne peut plus contracter le muscle) [44].
Ps : On est chez des souris, pas des enfants, hein ! Je sais pas si c'est tellement mieux en fait, surtout pour la souris.
« Recrutés par surcharge » ça veut dire « muscu » mais on est sur des souris, y'a pas encore de squat rack adapté, de toute façon elles ont pas de pouce, elles peuvent pas attraper un haltère en toute sécurité, ni même des baguettes pour manger des sushis. Enfin, elles s'en foutent, ça mange surtout des palettes à base de grains avec les pattes les souris de labo.
Qu'est-ce qu'on a vu dans cette expérience?
On a d'abord vu une séquence intéressante durant la phase d'hypertorphie [44]. La CSA (Cross Sectional Area – épaisseur du muscle) a augmenté de 35 % pendant les 21 jours de l'expérience et le nombre de noyaux de la cellule a augmenté de 54 %.
Le nombre de noyaux a commencé à augmenter à partir de 6 jours et s'est stabilisé autour de 11 jours après le début de l'expérience. Cette augmentation du nombre de noyaux précède l'augmentation de la CSA, qui n'augmente pas avant 9 jours pour se stabiliser vers 14 jours.
Cette séquence se confirme aussi lorsqu'on regarde le volume de cytoplasme (nom du liquide qui remplit la cellule) par noyau pour chaque fibre musculaire : ce volume diminue de 16 % après 6-10 jours avant de se stabiliser. Plus de noyaux occupent plus de place dans la cellule donc il y a moins de cytoplasme en pourcentage.
Donc si la CSA augmente, ce n'est pas uniquement parce qu'il y a plus de liquide, c'est qu'il y a aussi plus de muscle.
Dans un second temps, on étudie le dés-entraînement. Malheureusement, à chaque mesure, il faut sacrifier l'animal.
En recherche, on ne tue pas une souris, sous-entendu pour le plaisir, on la sacrifie, sous-entendu elle ne meurt pas pour rien. Au finale, c'est pareil mais ce n'est pas pareil. Pour avoir eu à le faire, c'est pas super drôle - je les avais entraîné en plus ces souris, putain !
Ici, on prend les souris, on les entraîne, pendant 14 jours seulement. On reprend les résultats de la première expérience. Cette fois, la CSA augmente de 35 %, le nombre de noyaux de 37 %. Chez une partie de ces souris bodybuildées, on coupe le nerf et on attend 14 jours. Pendant ces 14 jours, la CSA diminue de 40 %.
Malgré l'atrophie, le nombre de noyaux ne diminue pas vraiment, Rien de significatif. La différence observée est si faible qu'elle est certainement due au hasard, elle n'est pas assez différente pour qu'on puisse dire qu'elle est vraiment différente.
Enfin la 3e série d'expériences, maintenant avec dénervation sur 3 mois. On ne pouvait pas utiliser le même modèle in vivo (sur souris vivantes) car les fibres étaient devenues trop petites pour les manipuler. Il a fallu avoir recours à un modèle ex vivo (sur souris pas uniquement vivante).
Avec surcharge du muscle, on obtient toujours l'augmentation de la CSA et du nombre de noyaux, même avec ce nouveau modèle. Après 3 mois de dénervation, la CSA chute mais le nombre de noyaux n'est pas significativement différent du nombre avant dénervation.
Le nombre de noyaux après surcharge est supérieur au nombre de noyaux d'une fibre musculaire dénervée pendant 3 mois qui n'a pas subi de surcharge. Les noyaux ont été maintenu malgré une réduction de 23 % de la valeur de la CSA après surcharge.
La conclusion est donc que la prise de masse mène à des adaptations durables du nombre de noyaux. Ils ne sont pas perdus malgré le dés-entraînement durant une importante partie de l'espérance de vie d'une souris, environ 2 ans.
La dénervation semble entraîner la perte de quelques noyaux, mais cela peut facilement s'expliquer par le raccourcissement des fibres dénervées.
Extrait réf. [44]: Taille de fibre (pointillés) et nombre de noyaux (blanc) à différents moments de l'expérience.
L'apoptose induite par la dénervation.
Une autre hypothèse est que les nouveaux noyaux sont plus susceptibles de mourir que les autres.
Et bien que la dénervation entraîne une diminution du nombre de noyaux, cela ne semble pas du tout affecter les noyaux créés par l’entraînement et donc l'hypertrophie. Des 15 000 noyaux identifiés, uniquement 1 est mort.
En admettant que ce noyau ne soit pas mort par accident, mais bien lié à la dénervation, sur une période de 14 jours on atteint moins d'1 % de noyau créés morts.
Si le détail de la méthode de mesure vous intéresse, allez voir la référence [24].
Au finale, ça apporte quoi ?
Pour en finir avec cette expérience, on voit qu'un épisode hypertrophique, si on a déjà gagné du muscle, on a augmenté le nombre de noyaux dans son muscle durablement. On peut ainsi en tirer un bénéfice à long terme. Dans le cadre de la rééducation après une blessure, la problématique du vieillissement ou certaines maladies, ça pourrait s'avérer plutôt cool comme adaptation.
Vous bénéficiez d'une résistance contre l'atrophie provoquée par le dés-entraînement et aussi comme une meilleure réponse au ré-entraînement. Si vous souffrez d'une blessure, que vous devez vous faire opérer (rupture des croisés, etc.), repoussez l'opération assez pour pouvoir vous muscler un peu plus. Votre rééducation sera d'autant moins pénible, les effets de l'immobilisation seront moins dramatiques.
Vous avez là une discipline qui ne se développera pas vraiment en France avant plusieurs années : la « prehabilitation » ou « prehab' » par opposition à la « rehabilitation » - la rééducation en anglais. Ca pourrait s'appeler la pré-(ré)éducation en français (il n'y a pas vraiment de mot en français à vrai dire lol, vu que ça n'existe pas encore, peut-être les Canadiens ont un mot ).
Cette expérience s'est inspirée du modèle de surcharge chez le rat, chez qui les études utilisant des radiations ont suggéré que l'activation des cellules satellites (espèces de cellules souches collées à la fibre pour la réparer) est préalable à l'hypertrophie [25] et que l'hypertrophie se développe assez lentement.
De fait, l'addition de noyaux avant le grossissement de la fibre est plus facile à détecter [25,26]. Pour éviter le problème des fibres qui grossissent à différentes vitesses selon leur type, on a ici isolé les fibres de type II B, celles qui grossissent le plus, plus vite.
Enfin, ces travaux apporte un nouveau modèle qui permet d'expliquer le phénomène de « mémoire musculaire », au moins en partie. La fibre musculaire produit de nouveaux noyaux, certainement à partir des cellules satellites [29-31].
Grâce à ces nouveaux noyaux, la fibre peut produire plus de protéines. La fibre peut grossir. Même si le stimulus qui ordonne la création de noyaux disparaît, les noyaux ne sont pas détruits, ils restent là. Ils ne produisent plus de protéine et sans entraînement, la fibre « dégonfle ».
Cependant, lorsque l’entraînement reprend, ces noyaux sont déjà là, la fibre produit autant de protéines qu'avant la fin de l’entraînement, les adaptations perdues reviennent beaucoup plus vite, on n'a pas à attendre que de nouveaux noyaux soient créés.
Quand vous gonflez la première fois, vous devez créer ces nouveaux noyaux avant de construire du nouveau muscle.
Quand vous « regonflez » après avoir dégonflé, vous réutilisez ces noyaux créés la fois d'avant. Vous allez beaucoup plus vite.
Petit schéma :
Rapide schéma: A gauche, mécanisme abrégé de l'hypertrophie chez le débutant, les cellules satellites fusionnent à la fibre pour augmenter le nombre de noyaux, la fibre grossit. 2e partie chez la personne déjà adaptée, partie du mécanisme indépendante de la création de nouveaux noyaux.
Dernière notes :
Bref, il y a encore pas mal de points à éclaircir. Même si on est ici sur des considérations un peu différentes de « Le mieux c'est quoi pour des gros biceps ? 8 reps à 10 kilos ou 6 reps à 12 kg ? », j'espère que ça vous aidera à un peu mieux comprendre pourquoi et comment marchent vos muscles. Je suis passé très vite sur certains points du style « ça ressemble à quoi une cellule satellite ? », « Comment ça marche » etc., mais j'espère que ça n'aura pas trop handicapé votre compréhension.
Références:
1. Staron RS, et al. (1991) Strength and skeletal muscle adaptations in heavy-resistancetrained women after detraining and retraining. J Appl Physiol 70:631–640.
2. Taaffe DR, Marcus R (1997) Dynamic muscle strength alterations to detraining and retraining in elderly men. Clin Physiol 17:311–324.
3. Rutherford OM, Jones DA (1986) The role of learning and coordination in strength training. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 55:100–105.
4. MacDougall JD, Elder GC, Sale DG, Moroz JR, Sutton JR (1980) Effects of strength training and immobilization on human muscle fibres. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 43:25–34.
SOURCE : http://www.hendersoninfo.net/blog/pourquoi-on-recupere-plus-vite-quon-a-gagne
Frederick J. Henderson
NSCA Certified Strength and Conditioning Specialist.
Master en Sciences du Sport - Spécialiste Force & Vitesse.
http://www.hendersoninfo.net/blog/pourquoi-on-recupere-plus-vite-quon-a-gagne
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Bullet Point pour ceux qui ne veulent pas tout lire :
Bullet Point pour ceux qui ne veulent pas tout lire :
- Une fois qu'on gagne du muscle, on ne le perd jamais complètement.
- Du coup c'est plus facile de le re-gagner
- Votre fibre s'adapte à la muscu, elle produit plus de noyaux pour produire plus de protéine pour construire plus de muscle.
- Si on perd son muscle en arrêtant l'entraînement, les noyau eux semblent rester. Voilà une des raisons pour lesquelles il est plus facile de gagner du muscle après l'avoir perdu.
- On imagine facilement l'intérêt pour les blessés devant suivre une rééducation ou encore avec le vieillissement général de la population.
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Si cela fait quelques temps que vous vous entraînez en musculation, vous avez surement remarqué qu'il vous a fallu longtemps pour gagner votre masse musculaire. La vie prend parfois le dessus, nous éloigne de la salle, on perd ses gain.
On retourne plus tard sous les barres, et ... Bim! En un clin d’œil, tout revient. C'est comme le vélo, on oublie pas. Un peu comme si le muscle se rappelait, avait une mémoire. Il vous faut moitié moins de temps et d'efforts pour récupérer votre physique.
Beaucoup ayant eu une expérience d’entraînement par le passé peuvent améliorer rapidement leur force grace au ré-entraînement [1,2]. Ce phénomène est généralement appelé « mémoire musculaire ». Bien qu'il n'y ait pas de mécanisme de mémoire à proprement parlé dans la cellule musculaire, il n'en reste pas moins qu'une partie des gains perdure plus ou moins. L'explication habituelle est attribuée à l'apprentissage moteur du système nerveux [3]. C'est possible, mais c'est loin de tout expliquer.
Un premier modèle
Un muscle ayant grossi, peut rester hypertrophié jusqu'à plusieurs mois après l'arrêt de l’entraînement [1,4-8]. Chez les personnes âgées ayant effectué un entraînement en force, le niveau de force reste de 9 à 14 % plus élevé qu'à l'origine même après 2 ans de dés-entraînement [7].
Après 20 semaines d'entrainement, un groupe de femme a perdu un niveau considérable de force pendant la période de dés-entraînement qui a suivi. En 6 semaines d'entraînement, la force perdue avait été récupérée [1].
On voit bien, ici, qu'il doit exister un mécanisme de mémoire localisé au niveau du muscle. Avant de voir quel peut être ce mécanisme, on va d'abord s'intéresser à une particularité de la cellule musculaire.
Depuis plus de 100 ans, on pense que le noyau d'une cellule ne peut supporter qu'un certain volume de cytoplasme [9-19]. Si un champ peut nourrir un village de 200 personnes, le village ne grandira pas au-delà de 200 personnes. Sinon, problème.
Normalement, on a une cellule et son noyau, c'est la représentation classique. C'est vrai pour la plupart des cellules. Une cellule, un noyau, on appelle ça une cellule mono-nucléée. Évidemment, il existe toujours des exceptions.
Une cellule musculaire est plus grosse qu'une cellule mono-nucléée, de l'ordre de 500 % plus grosse. Elle possède, en plus de sa plus grosse taille, de nombreux noyaux. C'est une des rares cellules poly-nucléées chez les vertébrés [18]. Et donc, avec notre histoire de limite de taille par noyau, la concentration de noyaux est constante : quelle que soit la taille de la fibre, vous trouverez toujours « X » noyaux par millimètre de fibre.
Votre village a X champs, il peut héberger X fois 200 personnes. Votre village est plus gros qu'un village qui n'a qu'un champ.
Quand une fibre musculaire grossit, on pense que des noyaux sont créés par mitose (mécanisme de clonage naturel, pour reproduire l'ADN). Ensuite les nouveaux noyaux fusionnent avec la fibre musculaire qui grossit.
À l'inverse, on pense que l'excès de noyaux est jeté à la poubelle par apoptose sélective (mort programmée) lorsque le muscle « dégonfle » [20,21]. Avec cette théorie, on peut maintenir une concentration de noyaux constante.
La remise en cause
Seulement, voilà : l'imagerie médicale continuant de progresser, on peut plutôt bien compter combien de noyaux sont présents dans une fibre musculaire.
Jusqu'à récemment, c'était trop petit pour pouvoir compter exactement. La seule solution était le microscope pour voir les petits noyaux cellulaires mais comme à ce moment-là une fibre musculaire n'entre pas en entier dans le viseur, on compte souvent 2 fois le même noyau. Un peu comme faire un panoramique avec un appareil photo jetable.Et donc, on a vu que, chez la souris, lorsqu'une fibre musculaire rétrécit, le nombre de noyaux ne diminue pas [22].
Notre beau petit modèle pas trop compliqué vient de couler. Bien sûr, vous allez me dire : « Oui, Fred. Cependant, tout le monde sait très bien que les noyaux dans un tissue musculaire ayant subis une mitose pendant l'hypertrophie musculaire sont particulièrement susceptibles à l'apoptose si on cesse d'utiliser ses muscles [23] » (oui, vous terminez votre phrase par « crochet-23-crochet »).
Et là je contre votre étude par ma superbe étude qui m'aide à rédiger cet article : les nouveaux noyaux recrutés par surcharge sont conservés jusqu'à 3 mois après dénervation (on coupe le nerf, on ne peut plus contracter le muscle) [44].
Ps : On est chez des souris, pas des enfants, hein ! Je sais pas si c'est tellement mieux en fait, surtout pour la souris.
« Recrutés par surcharge » ça veut dire « muscu » mais on est sur des souris, y'a pas encore de squat rack adapté, de toute façon elles ont pas de pouce, elles peuvent pas attraper un haltère en toute sécurité, ni même des baguettes pour manger des sushis. Enfin, elles s'en foutent, ça mange surtout des palettes à base de grains avec les pattes les souris de labo.
Qu'est-ce qu'on a vu dans cette expérience?
On a d'abord vu une séquence intéressante durant la phase d'hypertorphie [44]. La CSA (Cross Sectional Area – épaisseur du muscle) a augmenté de 35 % pendant les 21 jours de l'expérience et le nombre de noyaux de la cellule a augmenté de 54 %.
Le nombre de noyaux a commencé à augmenter à partir de 6 jours et s'est stabilisé autour de 11 jours après le début de l'expérience. Cette augmentation du nombre de noyaux précède l'augmentation de la CSA, qui n'augmente pas avant 9 jours pour se stabiliser vers 14 jours.
Cette séquence se confirme aussi lorsqu'on regarde le volume de cytoplasme (nom du liquide qui remplit la cellule) par noyau pour chaque fibre musculaire : ce volume diminue de 16 % après 6-10 jours avant de se stabiliser. Plus de noyaux occupent plus de place dans la cellule donc il y a moins de cytoplasme en pourcentage.
Donc si la CSA augmente, ce n'est pas uniquement parce qu'il y a plus de liquide, c'est qu'il y a aussi plus de muscle.
Dans un second temps, on étudie le dés-entraînement. Malheureusement, à chaque mesure, il faut sacrifier l'animal.
En recherche, on ne tue pas une souris, sous-entendu pour le plaisir, on la sacrifie, sous-entendu elle ne meurt pas pour rien. Au finale, c'est pareil mais ce n'est pas pareil. Pour avoir eu à le faire, c'est pas super drôle - je les avais entraîné en plus ces souris, putain !
Ici, on prend les souris, on les entraîne, pendant 14 jours seulement. On reprend les résultats de la première expérience. Cette fois, la CSA augmente de 35 %, le nombre de noyaux de 37 %. Chez une partie de ces souris bodybuildées, on coupe le nerf et on attend 14 jours. Pendant ces 14 jours, la CSA diminue de 40 %.
Malgré l'atrophie, le nombre de noyaux ne diminue pas vraiment, Rien de significatif. La différence observée est si faible qu'elle est certainement due au hasard, elle n'est pas assez différente pour qu'on puisse dire qu'elle est vraiment différente.
Enfin la 3e série d'expériences, maintenant avec dénervation sur 3 mois. On ne pouvait pas utiliser le même modèle in vivo (sur souris vivantes) car les fibres étaient devenues trop petites pour les manipuler. Il a fallu avoir recours à un modèle ex vivo (sur souris pas uniquement vivante).
Avec surcharge du muscle, on obtient toujours l'augmentation de la CSA et du nombre de noyaux, même avec ce nouveau modèle. Après 3 mois de dénervation, la CSA chute mais le nombre de noyaux n'est pas significativement différent du nombre avant dénervation.
Le nombre de noyaux après surcharge est supérieur au nombre de noyaux d'une fibre musculaire dénervée pendant 3 mois qui n'a pas subi de surcharge. Les noyaux ont été maintenu malgré une réduction de 23 % de la valeur de la CSA après surcharge.
La conclusion est donc que la prise de masse mène à des adaptations durables du nombre de noyaux. Ils ne sont pas perdus malgré le dés-entraînement durant une importante partie de l'espérance de vie d'une souris, environ 2 ans.
La dénervation semble entraîner la perte de quelques noyaux, mais cela peut facilement s'expliquer par le raccourcissement des fibres dénervées.
Extrait réf. [44]: Taille de fibre (pointillés) et nombre de noyaux (blanc) à différents moments de l'expérience.
L'apoptose induite par la dénervation.
Une autre hypothèse est que les nouveaux noyaux sont plus susceptibles de mourir que les autres.
Et bien que la dénervation entraîne une diminution du nombre de noyaux, cela ne semble pas du tout affecter les noyaux créés par l’entraînement et donc l'hypertrophie. Des 15 000 noyaux identifiés, uniquement 1 est mort.
En admettant que ce noyau ne soit pas mort par accident, mais bien lié à la dénervation, sur une période de 14 jours on atteint moins d'1 % de noyau créés morts.
Si le détail de la méthode de mesure vous intéresse, allez voir la référence [24].
Au finale, ça apporte quoi ?
Pour en finir avec cette expérience, on voit qu'un épisode hypertrophique, si on a déjà gagné du muscle, on a augmenté le nombre de noyaux dans son muscle durablement. On peut ainsi en tirer un bénéfice à long terme. Dans le cadre de la rééducation après une blessure, la problématique du vieillissement ou certaines maladies, ça pourrait s'avérer plutôt cool comme adaptation.
Vous bénéficiez d'une résistance contre l'atrophie provoquée par le dés-entraînement et aussi comme une meilleure réponse au ré-entraînement. Si vous souffrez d'une blessure, que vous devez vous faire opérer (rupture des croisés, etc.), repoussez l'opération assez pour pouvoir vous muscler un peu plus. Votre rééducation sera d'autant moins pénible, les effets de l'immobilisation seront moins dramatiques.
Vous avez là une discipline qui ne se développera pas vraiment en France avant plusieurs années : la « prehabilitation » ou « prehab' » par opposition à la « rehabilitation » - la rééducation en anglais. Ca pourrait s'appeler la pré-(ré)éducation en français (il n'y a pas vraiment de mot en français à vrai dire lol, vu que ça n'existe pas encore, peut-être les Canadiens ont un mot ).
Cette expérience s'est inspirée du modèle de surcharge chez le rat, chez qui les études utilisant des radiations ont suggéré que l'activation des cellules satellites (espèces de cellules souches collées à la fibre pour la réparer) est préalable à l'hypertrophie [25] et que l'hypertrophie se développe assez lentement.
De fait, l'addition de noyaux avant le grossissement de la fibre est plus facile à détecter [25,26]. Pour éviter le problème des fibres qui grossissent à différentes vitesses selon leur type, on a ici isolé les fibres de type II B, celles qui grossissent le plus, plus vite.
Enfin, ces travaux apporte un nouveau modèle qui permet d'expliquer le phénomène de « mémoire musculaire », au moins en partie. La fibre musculaire produit de nouveaux noyaux, certainement à partir des cellules satellites [29-31].
Grâce à ces nouveaux noyaux, la fibre peut produire plus de protéines. La fibre peut grossir. Même si le stimulus qui ordonne la création de noyaux disparaît, les noyaux ne sont pas détruits, ils restent là. Ils ne produisent plus de protéine et sans entraînement, la fibre « dégonfle ».
Cependant, lorsque l’entraînement reprend, ces noyaux sont déjà là, la fibre produit autant de protéines qu'avant la fin de l’entraînement, les adaptations perdues reviennent beaucoup plus vite, on n'a pas à attendre que de nouveaux noyaux soient créés.
Quand vous gonflez la première fois, vous devez créer ces nouveaux noyaux avant de construire du nouveau muscle.
Quand vous « regonflez » après avoir dégonflé, vous réutilisez ces noyaux créés la fois d'avant. Vous allez beaucoup plus vite.
Petit schéma :
Rapide schéma: A gauche, mécanisme abrégé de l'hypertrophie chez le débutant, les cellules satellites fusionnent à la fibre pour augmenter le nombre de noyaux, la fibre grossit. 2e partie chez la personne déjà adaptée, partie du mécanisme indépendante de la création de nouveaux noyaux.
Dernière notes :
- L'emploi de stéroïdes anabolisants augmente le nombre de noyaux [27,28] rendant ses effets permanent. 2 remarques : bannir à vie les sportifs aurait donc un sens, on peut convaincre une personne d'arrêter de prendre des « anabos » s'il a seulement peur de perdre ce qu'il a déjà gagné (ça pourrait lui sauver la vie, vivre sans foie c'est compliqué.).
- Il existe quand même d'autres mécanismes de l'hypertrophie puisque l'hypertrophie a été observé dans certains cas particuliers où les cellules satellites avaient été détruites [32-43].
- Malgré les travaux de Alway et al [23], la tendance de nouveaux noyaux à mourir plus facilement n'a jamais été formellement identifiée. Dans l'étude de Alway, un biais méthodologique au niveau de la technique de comptage peu expliquer les résultats contradictoires.
Bref, il y a encore pas mal de points à éclaircir. Même si on est ici sur des considérations un peu différentes de « Le mieux c'est quoi pour des gros biceps ? 8 reps à 10 kilos ou 6 reps à 12 kg ? », j'espère que ça vous aidera à un peu mieux comprendre pourquoi et comment marchent vos muscles. Je suis passé très vite sur certains points du style « ça ressemble à quoi une cellule satellite ? », « Comment ça marche » etc., mais j'espère que ça n'aura pas trop handicapé votre compréhension.
Références:
1. Staron RS, et al. (1991) Strength and skeletal muscle adaptations in heavy-resistancetrained women after detraining and retraining. J Appl Physiol 70:631–640.
2. Taaffe DR, Marcus R (1997) Dynamic muscle strength alterations to detraining and retraining in elderly men. Clin Physiol 17:311–324.
3. Rutherford OM, Jones DA (1986) The role of learning and coordination in strength training. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 55:100–105.
4. MacDougall JD, Elder GC, Sale DG, Moroz JR, Sutton JR (1980) Effects of strength training and immobilization on human muscle fibres. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 43:25–34.
SOURCE : http://www.hendersoninfo.net/blog/pourquoi-on-recupere-plus-vite-quon-a-gagne