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Résumé
La citrulline circulante n’est plus seulement considérée comme un simple intermédiaire métabolique. Acide aminé synthétisé par les entérocytes de la muqueuse intestinale, non contenu dans les protéines, la citrulline sert de précurseur à la production d’arginine par le rein.
Le rôle anabolique sur le bilan azoté et les protéines musculaires de la citrulline, qui échappe au métabolisme hépatique, a été récemment montré dans des modèles expérimentaux animaux in vitro et in vivo. Cela sert de rationnel à l’expérimentation clinique de son effet dans les cas de dénutrition dans lesquels est augmentée la séquestration splanchnique, tout particulièrement chez le sujet âgé. De plus, la citrullinémie est en clinique un biomarqueur validé de la masse métabolique entérocytaire tant chez l’enfant que chez l’adulte, reliée à l’amputation anatomique et fonctionnelle du grêle.
Sa concentration plasmatique quand elle est inférieure à 10–20 mol/L donne une objectivité à la prescription de la nutrition parentérale en cas d’insuffisance intestinale par maladie ou absence des entérocytes.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
1. Qu’est-ce que la citrulline ?
La citrulline est un acide aminé à trois atomes d’azote, classiquement considérée comme un simple intermédiaire méta-bolique du métabolisme protéique. Elle n’est pas contenue dans les protéines et peptides endogènes et exogènes et s’avère donc retrouvée à l’état libre dans les cellules et les liquides extracellulaires.
Elle a tout particulièrement une fonction épuratrice de l’excès d’azote en situation d’hyperammoniémie. En dehors de la pastèque, où on la trouve en petite quantité sous forme libre (1 g pour 780 g), la citrulline est quasiment absente de l’alimentation. La citrulline apparaît clairement comme émergente en nutrition clinique et fait ainsi l’objet d’une importante recherche appliquée depuis quelques années.
2. Biochimie et physiologie de la citrulline
2.1. Biochimie, enzymologie
Chez l’homme, il est établi par études de multicathétérisme réalisées dans les années 1970, qu’à l’état postabsorptif le seul acide aminé dont la production splanchnique s’avère significative est la citrulline, les deux acides aminés les plus consommés par ce territoire étant la glutamine et l’alanine. La démonstration de l’implication intestinale et non hépatique dans la production de citrulline a été plus tardive : la transplantation
hépatique ne corrige pas l’hypocitrullinémie profonde constatée dans certains déficits héréditaires des enzymes du cycle de l’urée.
Il existe trois voies de synthèse physiologique de la citrulline dans l’organisme:
• un cycle intrahépatique compartimenté (uréogenèse périportale de détoxification de l’ammoniac : synthèse par l’ornithine carbamoyl transférase [OCT] mitochondriale, catabolisme par l’arginosuccinate synthase [ASS] cytosolique) ;
• la voie cellulaire (voie duNO: nitrite oxyde synthase [NOS]), présente dans les cellules endothéliales, les lymphocytes et macrophages, le système nerveux et en cas d’inflammation ;
• le métabolisme interorganes. Ce dernier permet la production —intestinale— de la quasi-totalité de la citrulline « circulante ».
La citrulline sanguine, plasmatique ou sérique —le dosage de l’une ou l’autre donnant des résultats identiques— est produite spécifiquement par les mitochondries des entérocytes de la muqueuse intestinale. La synthèse est majoritairement effectuée en zone proximale —jéjunum— avec un gradient enzymatique aboral, et dans la zone villositaire plus que cryptique, à partir essentiellement in vivo de la glutamine (environ
5%de son flux) d’origine luminale [8] ou sanguine.
La citrulline plasmatique peut ainsi être considérée comme un produit terminal du métabolisme entérocytaire de la glutamine. La voie enzymatique de biosynthèse de la citrulline, mitochondriale est complexe, impliquant notamment la pyrroline 5 carboxylate synthase (P5CS) considérée comme l’enzyme clé limitante de cette
voie et à expression essentiellement intestinale, l’ornithine aminotransferase (OAT) etOCT[9,10].La citrulline est exportée des mitochondries par le transporteur antiport ornithine–citrulline (ORNT1).
La citrulline produite est en grande quantité (> 85 %) transformée en arginine, acide aminé à fonction pléiotropique, au niveau du tube contourné proximal (ASS et arginosuccinate lyase [ASL]) [11] (Fig. 1) des tubules superficiels rénaux. Seuls l’intestin, surtout le grêle, et le foie expriment significativement l’OTC. La P5CS est une protéine bifonctionnelle de localisation intramitochondriale dont il existe deux isoformes
résultant d’un épissage alternatif : une protéine courte au niveau de la muqueuse intestinale qui autorise la production de citrulline après le sevrage et une protéine longue ubiquitaire qui permet la synthèse de proline
La contribution de l’arginine commeprécurseur de la synthèse de citrulline in vivo chez l’homme n’est pas déterminée. In vitro l’arginine, la proline et d’autres acides aminés peuvent être convertis en citrulline par les entérocytes.
Les activités enzymatiques des principales enzymes impliquées dans ce carrefour métabolique complexe (glutamate pathway) ont été déterminées chez le rat, mais pas chez l’homme. Il a été montré sur entérocytes de porc que l’ASS intestinale, enzyme cysolique, ne s’exprime qu’avant le sevrage ; après ce
dernier l’activité de cette enzyme s’éteint, ce qui implique que l’intestin ne produise alors plus d’arginine. On peut en déduire que les entérocytes matures abritent un cycle incomplet de l’urée, mitochondrial mais non cytosolique. Le foie ne joue aucun rôle significatif dans le métabolisme de la citrulline circulante.
2.3. Citrulline et bilan protéique
Chez le rat, la citrulline est indispensable à la croissance: l’administration d’un inhibiteur oral de l’OTC
(gly–gly–PAL–ornithine) divise la citrullinémie par deux et l’argininémie par quatre, inhibe la croissance et négative le bilan azoté, effets qui sont prévenus complètement par l’administration de citrulline et incomplètement par l’arginine. Chez le rat âgé dénutri par réduction d’apport mais non agressé, la citrulline module le métabolisme protéique musculaire : ainsi, par rapport à un apport contrôle isoazoté sans
citrulline, cette dernière administrée seule dans le contenu azoté augmente de 20% le contenu protéique musculaire et de 90% le débit de synthèse protéique absolu sans avoir d’effet sur la protéolyse mesurée par l’excrétion urinaire de trois méthylhistidine. L’élucidation du mécanisme d’action de la citrulline
est en cours d’étude dans notre laboratoire : il ne semble pas lié à l’arginine, mais au contraire spécifique de la citrulline à la fois in vitro et in vitro par une voie moléculaire à déterminer (Moinard et al., données non publiées). Sous réserve de l’environnement en facteurs de croissance, la citrulline, acide aminé non protéique, pourrait donc bien avoir un rôle direct de signalisation anabolique « protéinogène », traductionnel. La citrulline serait ainsi le deuxième acide aminé, avec la leucine, à action anabolisante
propre. Cet effet n’est pas constaté avec l’arginine et n’est objectivé pour la glutamine que dans certaines situations et à doses élevées.
Conclusion
La citrulline est un agent biologique émergent en médecine, à la fois comme biomarqueur innovant dans le cadre d’un modèle explicatif et prédictif validé en cas d’insuffisance intestinale et potentiellement comme source de progrès thérapeutique d’intervention en tant que modulateur positif de l’anabolisme protéique musculaire dans les situations d’hypocitrullinémie ou d’excès de séquestration splanchnique. La citrulline pourrait donc avoir un rôle clé dans le métabolisme protéique, particularité qui s’expliquerait par ses spécificités et notamment son circuit métabolique détourné d’« arginine masquée » avec synthèse et production intestinale pour éviter la dégradation hépatique (uréogenèse) de son produit métabolique, l’arginine.
Le concept du biomarqueur entérocytaire est également intéressant et novateur, car il n’existait auparavant aucune alternative pour la médecine pratique : la citrullinémie constitue donc, par analogie aux hépatocytes, le « facteur V» des entérocytes. Tout un pan de recherche s’ouvre pour étudier de manière approfondie cet acide aminé qui revêt un nouveau statut au-delà du simple « intermédiaire métabolique » des traités classiques de biochimie.
Réf.:
Pascal Crenn a,b,c,∗
a Département de médecine aiguë spécialisée, hôpital Raymond-Poincaré, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France
b Fédération des spécialités digestives et oncologie digestive, hôpital Ambroise-Paré, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines, 92100 Boulogne, France
c EA 2498, université Paris-5 Descartes, 75006 Paris, France
Recu le 18 d´ecembre 2007 ; accepté le 25 avril 2008
La citrulline circulante n’est plus seulement considérée comme un simple intermédiaire métabolique. Acide aminé synthétisé par les entérocytes de la muqueuse intestinale, non contenu dans les protéines, la citrulline sert de précurseur à la production d’arginine par le rein.
Le rôle anabolique sur le bilan azoté et les protéines musculaires de la citrulline, qui échappe au métabolisme hépatique, a été récemment montré dans des modèles expérimentaux animaux in vitro et in vivo. Cela sert de rationnel à l’expérimentation clinique de son effet dans les cas de dénutrition dans lesquels est augmentée la séquestration splanchnique, tout particulièrement chez le sujet âgé. De plus, la citrullinémie est en clinique un biomarqueur validé de la masse métabolique entérocytaire tant chez l’enfant que chez l’adulte, reliée à l’amputation anatomique et fonctionnelle du grêle.
Sa concentration plasmatique quand elle est inférieure à 10–20 mol/L donne une objectivité à la prescription de la nutrition parentérale en cas d’insuffisance intestinale par maladie ou absence des entérocytes.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
1. Qu’est-ce que la citrulline ?
La citrulline est un acide aminé à trois atomes d’azote, classiquement considérée comme un simple intermédiaire méta-bolique du métabolisme protéique. Elle n’est pas contenue dans les protéines et peptides endogènes et exogènes et s’avère donc retrouvée à l’état libre dans les cellules et les liquides extracellulaires.
Elle a tout particulièrement une fonction épuratrice de l’excès d’azote en situation d’hyperammoniémie. En dehors de la pastèque, où on la trouve en petite quantité sous forme libre (1 g pour 780 g), la citrulline est quasiment absente de l’alimentation. La citrulline apparaît clairement comme émergente en nutrition clinique et fait ainsi l’objet d’une importante recherche appliquée depuis quelques années.
2. Biochimie et physiologie de la citrulline
2.1. Biochimie, enzymologie
Chez l’homme, il est établi par études de multicathétérisme réalisées dans les années 1970, qu’à l’état postabsorptif le seul acide aminé dont la production splanchnique s’avère significative est la citrulline, les deux acides aminés les plus consommés par ce territoire étant la glutamine et l’alanine. La démonstration de l’implication intestinale et non hépatique dans la production de citrulline a été plus tardive : la transplantation
hépatique ne corrige pas l’hypocitrullinémie profonde constatée dans certains déficits héréditaires des enzymes du cycle de l’urée.
Il existe trois voies de synthèse physiologique de la citrulline dans l’organisme:
• un cycle intrahépatique compartimenté (uréogenèse périportale de détoxification de l’ammoniac : synthèse par l’ornithine carbamoyl transférase [OCT] mitochondriale, catabolisme par l’arginosuccinate synthase [ASS] cytosolique) ;
• la voie cellulaire (voie duNO: nitrite oxyde synthase [NOS]), présente dans les cellules endothéliales, les lymphocytes et macrophages, le système nerveux et en cas d’inflammation ;
• le métabolisme interorganes. Ce dernier permet la production —intestinale— de la quasi-totalité de la citrulline « circulante ».
La citrulline sanguine, plasmatique ou sérique —le dosage de l’une ou l’autre donnant des résultats identiques— est produite spécifiquement par les mitochondries des entérocytes de la muqueuse intestinale. La synthèse est majoritairement effectuée en zone proximale —jéjunum— avec un gradient enzymatique aboral, et dans la zone villositaire plus que cryptique, à partir essentiellement in vivo de la glutamine (environ
5%de son flux) d’origine luminale [8] ou sanguine.
La citrulline plasmatique peut ainsi être considérée comme un produit terminal du métabolisme entérocytaire de la glutamine. La voie enzymatique de biosynthèse de la citrulline, mitochondriale est complexe, impliquant notamment la pyrroline 5 carboxylate synthase (P5CS) considérée comme l’enzyme clé limitante de cette
voie et à expression essentiellement intestinale, l’ornithine aminotransferase (OAT) etOCT[9,10].La citrulline est exportée des mitochondries par le transporteur antiport ornithine–citrulline (ORNT1).
La citrulline produite est en grande quantité (> 85 %) transformée en arginine, acide aminé à fonction pléiotropique, au niveau du tube contourné proximal (ASS et arginosuccinate lyase [ASL]) [11] (Fig. 1) des tubules superficiels rénaux. Seuls l’intestin, surtout le grêle, et le foie expriment significativement l’OTC. La P5CS est une protéine bifonctionnelle de localisation intramitochondriale dont il existe deux isoformes
résultant d’un épissage alternatif : une protéine courte au niveau de la muqueuse intestinale qui autorise la production de citrulline après le sevrage et une protéine longue ubiquitaire qui permet la synthèse de proline
La contribution de l’arginine commeprécurseur de la synthèse de citrulline in vivo chez l’homme n’est pas déterminée. In vitro l’arginine, la proline et d’autres acides aminés peuvent être convertis en citrulline par les entérocytes.
Les activités enzymatiques des principales enzymes impliquées dans ce carrefour métabolique complexe (glutamate pathway) ont été déterminées chez le rat, mais pas chez l’homme. Il a été montré sur entérocytes de porc que l’ASS intestinale, enzyme cysolique, ne s’exprime qu’avant le sevrage ; après ce
dernier l’activité de cette enzyme s’éteint, ce qui implique que l’intestin ne produise alors plus d’arginine. On peut en déduire que les entérocytes matures abritent un cycle incomplet de l’urée, mitochondrial mais non cytosolique. Le foie ne joue aucun rôle significatif dans le métabolisme de la citrulline circulante.
2.3. Citrulline et bilan protéique
Chez le rat, la citrulline est indispensable à la croissance: l’administration d’un inhibiteur oral de l’OTC
(gly–gly–PAL–ornithine) divise la citrullinémie par deux et l’argininémie par quatre, inhibe la croissance et négative le bilan azoté, effets qui sont prévenus complètement par l’administration de citrulline et incomplètement par l’arginine. Chez le rat âgé dénutri par réduction d’apport mais non agressé, la citrulline module le métabolisme protéique musculaire : ainsi, par rapport à un apport contrôle isoazoté sans
citrulline, cette dernière administrée seule dans le contenu azoté augmente de 20% le contenu protéique musculaire et de 90% le débit de synthèse protéique absolu sans avoir d’effet sur la protéolyse mesurée par l’excrétion urinaire de trois méthylhistidine. L’élucidation du mécanisme d’action de la citrulline
est en cours d’étude dans notre laboratoire : il ne semble pas lié à l’arginine, mais au contraire spécifique de la citrulline à la fois in vitro et in vitro par une voie moléculaire à déterminer (Moinard et al., données non publiées). Sous réserve de l’environnement en facteurs de croissance, la citrulline, acide aminé non protéique, pourrait donc bien avoir un rôle direct de signalisation anabolique « protéinogène », traductionnel. La citrulline serait ainsi le deuxième acide aminé, avec la leucine, à action anabolisante
propre. Cet effet n’est pas constaté avec l’arginine et n’est objectivé pour la glutamine que dans certaines situations et à doses élevées.
Conclusion
La citrulline est un agent biologique émergent en médecine, à la fois comme biomarqueur innovant dans le cadre d’un modèle explicatif et prédictif validé en cas d’insuffisance intestinale et potentiellement comme source de progrès thérapeutique d’intervention en tant que modulateur positif de l’anabolisme protéique musculaire dans les situations d’hypocitrullinémie ou d’excès de séquestration splanchnique. La citrulline pourrait donc avoir un rôle clé dans le métabolisme protéique, particularité qui s’expliquerait par ses spécificités et notamment son circuit métabolique détourné d’« arginine masquée » avec synthèse et production intestinale pour éviter la dégradation hépatique (uréogenèse) de son produit métabolique, l’arginine.
Le concept du biomarqueur entérocytaire est également intéressant et novateur, car il n’existait auparavant aucune alternative pour la médecine pratique : la citrullinémie constitue donc, par analogie aux hépatocytes, le « facteur V» des entérocytes. Tout un pan de recherche s’ouvre pour étudier de manière approfondie cet acide aminé qui revêt un nouveau statut au-delà du simple « intermédiaire métabolique » des traités classiques de biochimie.
Réf.:
Pascal Crenn a,b,c,∗
a Département de médecine aiguë spécialisée, hôpital Raymond-Poincaré, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches, France
b Fédération des spécialités digestives et oncologie digestive, hôpital Ambroise-Paré, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines, 92100 Boulogne, France
c EA 2498, université Paris-5 Descartes, 75006 Paris, France
Recu le 18 d´ecembre 2007 ; accepté le 25 avril 2008