Peut-on trop s'hydrater?
Les spécialistes sont peut-être allés trop loin en répétant jusqu’à plus soif (excusez le jeu de mot facile) qu’il faut boire à l’entraînement et en compétition... qu’il faut boire beaucoup et ce, avant d’avoir soif.
Il est vrai que la déshydratation, même minime, s’accompagne irrémédiablement d’une importante diminution de la performance. Et on sait que si on ne s’oblige pas à boire plus que la soif ne le commande, on a tendance à ne boire qu’environ la moitié de l’eau perdue par sudation. Ainsi, aujourd’hui, plus personne ne met en doute qu’il faille boire une quantité suffisante d’eau, surtout lorsqu’on s’entraîne dans un environnement particulièrement chaud.
Mais est-il possible de trop boire? Avons-nous tiré à outrance sur le pendule au point d’inciter les athlètes à exagérer?
Selon la prestigieuse revue médicale British Medical Journal, il faut changer le discours : dorénavant, il faut recommander non pas de boire le plus possible de liquide pendant l’effort, mais de consommer un volume d’eau se rapprochant de la quantité d’eau perdue, sans toutefois la dépasser. Boire trop de liquide serait aussi dangereux que de ne pas boire assez!
« Trop d’athlètes croient qu’ils ont intérêt à boire autant qu’ils le peuvent, mais cela est faux » selon Tim Noakes, MD, Ph.D., titulaire d’une chaire à l’Université de Cape Town et conseiller scientifique à l’Institut des sciences du sport de l’Afrique du Sud. Considéré comme une sommité dans la physiologie des épreuves d’endurance, le Dr Noakes est le premier chercheur à avoir observé des cas d’hyponatrémie chez des personnes en bonne condition physique qui avaient consommé, pendant un effort prolongé, une plus grande quantité d’eau qu’ils n’en avaient perdu. L’hyponatrémie est une concentration de sodium dans l’organisme qui est trop basse et qui peut avoir de graves conséquences, comme le coma et, dans les cas extrêmes, la mort.
Le Dr Noakes explique qu’on a tellement incité les personnes physiquement actives à boire pendant l’exercice physique qu’on voit de plus en plus de cas de sportifs qui boivent au point de mettre leur santé en péril. Selon lui, « boire trop de liquide peut rapidement mener à une situation catastrophique ».
Selon le Dr Noakes, l’idée voulant qu’il est trop tard pour boire lorsqu’on ressent la soif est une aberration, une erreur que veut perpétuer l’industrie des boissons sportives, qui n’est soutenue par aucune donnée scientifique valable. Son conseil aux sportifs : « ne buvez que ce que votre soif vous dicte ». Provoquant, non?
Heureusement, les athlètes d’élite ne sont généralement pas susceptibles de souffrir d’hyponatrémie et ce, pour deux raisons. Primo, ils sont capables de s’entraîner à une intensité si élevée que leur taux de sudation peut être plus grand que la quantité maximale d’eau qu’ils parviennent à boire. Secundo, ils n’ont généralement pas tendance à boire beaucoup, car la sensation de soif est réduite à l’effort intense et ils cherchent à éviter d’avoir l’estomac trop plein, ce qui gène la respiration.
Mais les athlètes qui, sans faire partie de l’élite, sont en assez bonne condition physique pour s’entraîner pendant plusieurs heures peuvent boire plus d’eau qu’ils n’en perdent et souffrir d’hyponatrémie. Dans les cas extrêmes, l’hyponatrémie résulte en un œdème du cerveau, ce qui peut mener à la perte de conscience et même à un arrêt respiratoire. On ne connaît pas de cas aussi grave en sports pour personnes handicapées, mais c’est ce qui est arrivé à Mme Cynthia Lucero, une marathonienne de l’Équateur âgée de 28 ans qui est décédée lors du marathon de Boston de 2002.
« L’être humain est plutôt bon pour poursuivre un effort physique lorsqu’il est déshydraté, meilleur en tout cas qu’on ne le croyait jusqu’à maintenant », déclare le Dr Noakes. On tolère relativement bien une déshydratation légère et on ressent automatiquement une soif intense lorsque le déficit hydrique est très prononcé. L’envie de boire est donc l’élément clef et il faut arrêter de prétendre qu’on ne boit jamais assez.
Est-ce que tous les scientifiques sont de son avis? Pas nécessairement. Le Dr Noakes est bien connu pour ses idées quelque peu provoquantes et plusieurs physiologistes, médecins et nutritionnistes tiennent à rappeler que les réactions biologiques de l’organisme à l’effort ne sont pas nécessairement les mêmes chez tous les athlètes. Ils soulignent que dans les épreuves d’endurance comme les longues courses cyclistes et même les courses de ski de fond, le risque de déhydratation est bien plus grand que le risque d’hyponatrémie. Il ne s’agit pas d’ignorer les risques d’hyponatrémie, mais il ne faut surtout pas sombrer dans l’extrême au point de recommander de ne pas boire pendant l’effort. Tous les athlètes n’ont pas le même taux de sudation, ni le même taux de perte de sodium dans la sueur.
Alors, que penser de tout cela? Il semble qu’il faille chercher à naviguer entre deux écueils. Il ne faut ni se « noyer » en buvant plus de liquide qu’on n’en perd, ni limiter son apport hydrique au point de s’exposer à la déshydratation. L’idéal, c’est de ne jamais débuter une séance d’entraînement en état de déshydratation, de boire un ou deux verres d’eau avant de partir et de boire à peu près 600 mL d’eau à chaque heure. On recommande de se peser avant et après la séance. Si votre masse corporelle a augmenté pendant celle-ci, c’est sans doute parce que vous avec bu plus de liquide que vous en avez perdu. Si elle a diminué, retenez que vous avec eu tendance à vous déshydrater et… lors de la prochaine séance, tâchez de boire un peu plus! « Oui mais, plus comment? », demandez-vous? C’est simple. Chaque kg de déficit correspond à un manque à gagner d’exactement un litre d’eau.
Source : British Medical Journal
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Guy Thibault, Ph.D. - Docteur en physiologie de l'exercice, Guy s'est spécialisé dans l'interprétation des résultats de recherches scientifiques au bénéfice des entraîneurs et des sportifs. Conférencier invité sur plusieurs tribunes en Amérique, en Europe et en Afrique, il est l'auteur du Guide de mise en forme (Éditions de l'Homme) et il est le conseiller scientifique de plusieurs centres nationaux d'entraînement, particulièrement en sports individuels.
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