Le dangereux mythe des calories
Les recommandations actuelles de lutte contre le surpoids et l’obésité, tant de la part des institutions publiques que de la grande majorité des médecins, peuvent pour l’essentiel être ramenées au “modèle de l’équilibre calorique”, à savoir que la prise ou perte de poids est directement commandée par la quantité de calories ingérées en excès ou en carence par rapport aux calories dépensées. Ce modèle, tout droit issu de la thermodynamique, est une hypothèse simple, évidente… et fausse. Depuis que les hypothèses différentes ont disparu avec beaucoup de médecins et chercheurs européens pendant la seconde guerre mondiale, c’est ce modèle qui domine le paysage nutritionnel ambiant. Nous vivons depuis presque 70 ans dans le monde simpliste et inutilement culpabilisant qui découle logiquement de ce présupposé : nous continuons de grossir et d’aller de plus en plus mal alors même que nous nous acharnons de plus en plus à suivre la logique apparente de ce modèle.
Gary Taubes retrace pour commencer l’histoire du surpoids en Amérique du Nord : dans les années 1930, longtemps avant l’invention du fast-food, longtemps aussi avant l’introduction du sirop de gucose-fructose dans tous les aliments ou presque : l’augmentation de la fréquence du surpoids et de l’obésité, en particulier chez les enfants, était déjà remarquée et étudiée dans la littérature médicale, comme par exemple dans l’analyse poussée faite par la pédiatre Hilde Bruch en 1934. À l’époque, il était déjà apparent que ces enfants mangeaient bien plus que ceux en bonne santé, mais le fait de postuler que ce surpoids était dû à cet excès de nourriture et qu’il suffirait de “renverser la vapeur” pour en guérir, était déjà perçu comme une erreur grossière et voué à l’échec. En se fondant sur la biologie et pas juste sur la thermodynamique, les médecins européens de l’époque avaient déjà compris qu’ils étaient en face non d’un déséquilibre énergétique, mais d’un déséquilibre hormonal qui causait à la fois la prise de poids et l’excès de calories ingérées. À la source de ce problème hormonal, une stimulation excessive de production d’insuline. Cette hormone agit comme un facteur de croissance : elle stimule la prise de poids… en augmentant, entre autres choses, le stockage des calories au détriment de leur utilisation comme source d’énergie. Du coup, toutes les calories que le corps stocke au lieu de brûler doivent être compensée par un apport supplémentaire : c’est de là que vient l’excès d’appétit et donc la “suralimentation”. La réalité fonctionne en fait à rebours du modèle conventionnel : grossir incite à manger plus pour compenser l’énergie qui finit stockée, plutôt que l’inverse. C’est pour ça que les non-obèses n’ont aucun besoin de “compter les calories”, et peuvent “se permettre des écarts” aussi souvent sans pour autant grossir – nous en connaissons tous au moins quelques-uns autour de nous. C’est le modèle de la lipophilie, décrit initialement par Gustav von Bergmann dans les années 30.
Pour bien comprendre, imaginons deux flacons. L’un représenterait nos dépenses d’énergie du jour (métabolisme + exercice), l’autre représenterait ce que nous stockons sous forme de graisse. Dans le modèle conventionnel de l’équilibre calorique, quand on mange on commence par remplir de calories le premier flacon, puis l’excédent “déborde” dans le second. C’est simple, clair, et faux. Un système complexe d’enzymes et d’hormones toutes coordonnées par l’insuline joue le rôle de tuyau reliant les flacons, et dans le cas d’un individu obèse, à mesure que l’on tente de remplir le premier flacon, elles siphonnent les calories vers le second. Plus ce tuyau laisse passer de calories, plus il faut “surmanger” pour garder le premier flacon plein… et ne pas se sentir affamé et fatigué. En essayant de maigrir “simplement” en arrêtant de remplir autant le premier flacon, celui de nos dépenses énergétiques, on ne fait que s’affamer sans enrayer la prise de poids. Il y a de nombreux exemples d’expériences scientifiques où des chercheurs affament des souris obèses, et se retrouvent rapidement avec des souris toujours obèses mais mortes de faim. Toutes les calories qu’elles ingurgitaient étaient siphonnées vers le stockage ou bloquées dans leur tissu adipeux sans pouvoir en sortir, privant leur métabolisme de carburant au point de les tuer.
L’autre effet trop souvent ignoré par le consensus officiel sur la nutrition, c’est que baisser les apports caloriques fait aussi baisser les dépenses, et réciproquement : pour reprendre la métaphore, la “taille” du premier flacon tend à s’ajuster à ce que l’on met dedans. En l’absence de “siphonnage” par l’insuline, nos dépenses d’énergie suivent nos apports : c’est ainsi que ceux qui essaient des régimes réduisant l’insuline rapportent systématiquement une sensation “d’énergie renouvelée” dès la première semaine. Les calories n’étant plus séquestrées sous forme de graisse, elles sont à nouveau disponibles pour l’exercice et les mécanismes métaboliques. La fatigue et la somnolence jusque-là associées à la digestion disparaissent. De la même manière, si l’on tente de réduire nos apports caloriques, on peut tomber en dessous d’un seuil minimal, nécessaire à la survie à long terme : par exemple le jeûne, prolongé assez longtemps, amène le corps à s’autodétruire pour continuer à fonctionner. En dessous de ce seuil, on perd du poids parce qu’on perd du muscle, organes internes compris, jusqu’à finalement mourir d’inanition… Ce que l’on remarque, c’est que si les individus sains peuvent puiser spontanément de l’énergie dans les réserves de leur tissu adipeux quand ils jeûnent, ce n’est pratiquement pas le cas des individus obèses. Quelque chose a détraqué leur système de stockage : c’est ça, la vraie cause de leur obésité. On devient gros puis obèse parce que notre système de stockage d’énergie devient anormalement “avare” : il se met à stocker trop de calories lors des repas, et à en libérer trop peu entre les repas. Le système complexe d’enzymes et d’hormones commandant la prise ou la perte de poids, et les conditions qui l’amènent à se détraquer, sont expliquées avec une grande clarté et étayés de sources scientifiques tout au long du livre : quels types spécifiques de glucides dits “adipogènes” entraînent les cellules de notre tissu adipeux à stocker plus que de raison, à quoi ressemblerait un régime efficace qui renverserait cette tendance, etc. Je ne détaillerai pas plus cette partie du livre, que je vous laisse découvrir par vous-même. À la place, je préfère me concentrer sur l’autre aspect essentiel de “Pourquoi on grossit” : la façon dont la science a été malmenée et dévoyée par quelques intérêts particuliers, causant la multiplication des maladies du métabolisme: obésité, diabète mais aussi cancers, démences séniles, Alzheimer, scléroses, caries, etc.
Cinquante ans de persistance dans l’échec
Car Gary Taubes déroule aussi l’histoire de la théorie du modèle d’équilibre calorique : comment, avec la fin de la seconde guerre mondiale tout un pan de la science, principalement des publications en langue allemande (comme celles de l’Autrichien Julius Bauer et de l’Allemand Gustav von Bergmann) a été entièrement escamoté, et comment la communauté scientifique s’est rabattue dans les années 50 et 60 sur ceux qui n’étaient pas les plus rigoureux, mais bien les plus véhéments et bruyants : Jean Mayer, avec sa thèse (infondée) selon laquelle l’appétit ne s’ajusterait pas avec l’activité physique modérée, ou Ancel Keys et son hypothèse lipidique accusant (à tort) les graisses saturées de causer des maladies cardiaques via le cholestérol, ou encore Louis Newburgh et sa thèse de “l’appétit perverti”.
Dès la fin des années 60, le divorce entre l’état de la recherche en matière de nutrition d’un côté, et les “conclusions scientifiques” hâtives (simples corrélations issues d’études épidémiologiques, donc non-prouvées) voire erronées colportées par les médias traditionnels de l’autre, est consommé : Gary Taubes donne des exemples précis en comparant les publications médicales et les articles de presse généraliste de la même année… aux contenus totalement opposés ! Puis, en 1973, le sénateur américain McGovern décide de monter un comité d’experts médicaux pour fournir à l’USDA (ministère fédéral de l’agriculture des USA) des recommandations officielles en matière de nutrition… comité qui, après limogeage des récalcitrants (comme ce fut le cas du directeur de l’académie nationale des sciences, qui faisait de la résistance au nom de la vraie science), finit simplement par donner à McGovern exactement les conclusions qu’il avait prévues de prendre dès le départ : celles de son médecin personnel, un végétarien convaincu accusant les graisses d’origine animale de tous les maux, d’une part, et d’autre part des recommandations de consommation de produits céréaliers abusivement gonflées pour faire plaisir aux lobbies agricoles, très influents en politique. Le résultat, c’est la fameuse “pyramide alimentaire” selon laquelle la moitié de ce que nous mangeons devrait être à base de céréales, et moins d’un dixième devrait provenir d’animaux. À partir de cette époque, la plupart des efforts fournis par les comités et panels d’experts successifs engagés par le gouvernement américain consacreront la quasi-totalité de leurs efforts et des moyens publics mis à leur disposition… à simplement justifier, envers et contre tout, les choix déjà faits avant eux, quitte à nier les faits médicaux ou à les interpréter de travers.
Non seulement les sources en langue allemande ont été passées à l’as dans les années 1950, ramenant la compréhension de l’obésité en arrière jusqu’au niveau des connaissances que l’on en avait au milieu du XIXème siècle, mais en plus s’est installée une croyance néfaste : l’idée qu’il faut traiter l’obésité comme un trouble alimentaire, et non comme une maladie endocrinienne. Imagine-t-on sérieusement soigner les diabétiques ou les cancéreux par la psychiatrie ? C’est pourtant ce que l’on fait depuis ces années pour les personnes en surpoids : avec le modèle d’équilibre calorique, on interprète leur maladie comme ayant “forcément” pour origine leur paresse, leur manque de volonté, leur “gloutonnerie” voire leur ignorance crasse. Cette interprétation a la vie dure parce qu’elle conforte les autorités tant politiques que médicales dans leur position dominante, d’une part, et d’autre part parce qu’elle leur évite d’avoir à admettre toute falsifiabilité de leurs hypothèses : il leur est toujours possible d’accuser un peu plus les malades de ne pas suivre correctement ou suffisamment leurs conseils, au lieu de se remettre en question et de risquer sa carrière… C’est ainsi que nous en sommes arrivés à croire, en dépit des résultats contradictoires de très nombreuses études et de tests cliniques répétés, que les matières grasses saturées causent des maladies cardiaques, que la viande rouge donne le cancer colorectal, que l’obésité est liée à la pauvreté ou à l’invention du fast-food, et qu’il faut absolument manger des céréales et faire de l’exercice prolongé et régulier pour être en bonne santé. Ce qui n’était qu’au départ un ensemble d’hypothèses non-prouvées (et depuis longtemps infirmées par la recherche) a été repris tel quel par le gouvernement fédéral américain parce que les conclusions allaient dans le sens de ses propres biais, puis propagé à des institutions non-gouvernementales mais “d’utilité publique” comme l’American Heart Association ou l’Americain Diabetics Association (par exemple via des plans de subvention conditionnés au respect des recommandations officielles), et a fini par devenir la référence “mainstream” de l’état de l’art pour un grand nombre de médecins qui n’ont ni le temps ni les moyens de suivre d’un œil critique la recherche médicale dans le domaine.
C’est principalement pour cela que, malgré l’échec évident et répété des politiques de santé publique en matière de nutrition, ces recommandations officielles ne changent pas d’une virgule. Le “Dietary Guidelines” du ministère américain de l’agriculture, dans sa version 2010 comme dans ses versions précédentes, n’est qu’une redite des conclusions du comité McGovern, et ce malgré l’opposition et les critiques de plus en plus visibles du monde de la recherche médicale. Cela fait près de cinquante ans que les autorités gouvernementales et médicales nous disent de manger moins de graisses et surtout moins de viande, de manger plus de céréales, de faire plus d’exercice. C’est ce que, globalement, nous avons fait. Le résultat, c’est une explosion de la fréquence de l’obésité, du surpoids, du diabète, des maladies cardiaques, de certains cancers et de toutes sortes de démences et autres dégénérescences nerveuses (Alzheimer).
Un processus de prise de décision vicié de haut en bas
Un tel aveuglement, si massif et persistant, démontre le danger qu’il y a à laisser les autorités (gouvernementales comme médicales) se charger de résoudre des problèmes de société. Une autorité qui décrète des recommandations nutritionnelles ne peut que cristalliser des conflits d’intérêt latents au profit de quelques-uns et au détriment de tous les autres, parce qu’elle s’appuie forcément sur un nombre réduit d’experts, dont les recommandations ne peuvent elles-même qu’être imparfaites et très lacunaires puisque ces experts concentrent (en les tronquant forcément) leurs conclusions vers l’étage politicien au-dessus (pour les rendre “plus accessibles”… mais parfois aussi ils les biaisent pour les rendre “plus convaincantes” ou “plus acceptables” pour leur destinataire, ou pour ne pas risquer leur carrière), qui à son tour les simplifie (souvent de travers ou d’une manière partisane qui les arrange vis-à-vis de leurs lobbies) en essayant de s’adresser au reste de la société. À chaque niveau, l’asymétrie d’information déforme le message et l’éloigne de la réalité… à la fin, il ne reste rien d’utilisable, ce qui fait plus de mal que de bien car tous ces efforts, tout ce temps, toutes ces ressources médicales dépensées ne sont alors plus disponibles pour faire de la vraie science et de la vraie prévention. Une perte incommensurable pour la société !
Aujourd’hui, les échanges d’information sont si faciles et accessibles que la sagesse des foules dépasse en pratique les capacités de n’importe quel panel d’experts : les décisions prises par ces derniers au nom du reste de la population seront toujours moins bien informées et moins bien raisonnées que celles que les premiers prendront pour eux-même. Cela veut dire que déléguer au gouvernement ou à toute forme d’autorité centrale le soin de s’informer à notre place, et de décider une fois pour toute en matière de science (et pas seulement de nutrition, voyez par exemple la climatologie !) est un processus fatalement vicié, dès le départ, et voué à l’échec à long terme. Il est plus que temps de reprendre notre santé en main.
http://www.contrepoints.org/2012/03/31/75419-les-dieteticiens-nauraient-ils-rien-compris-f
voila des infos interessantes, qui a raison ? Je vais essayer d'acheter le bouquin pour avoir plus d'infos.
En tout cas je fais partager l'article les potos ca pourrait en interesser quelques uns.